Lubric-à-brac au Salon du livre de Genève

Du 25 au 29 avril, vous pour­rez retrou­ver les Edi­tions Lubric-à-brac Pro­duc­tions au Salon du livre de Genève, sur le stand de l’As­so­cia­tion les Insé­cables, no I980.

Vous pour­rez éga­le­ment m’y retrou­ver, sur le stand des Insé­cables, pour des dédi­caces de «Culs par-des­sus tête» (Ed. Humus) et de «Lubric-à-brac, l’a­bé­cé­daire du cul… mais pas que» (Ed. Sten­tor), le mer­cre­di 25 de 17h à 18h et le same­di 28 avril, de 17h à 18h.

 

Et le ven­dre­di 27 avril, de 19h à 19h30, Hen­ri Fesse & Orches­tra se pro­dui­ra chez les Insécables.

Tous les jours, de 12h30 à 13h30, vous pour­rez, tou­jours chez les Insé­cables, venir vous faire mur­mu­rer des extraits de ces deux livres mais aus­si des quatre pulps de Lubric-à-brac Productions.

Et puis­qu’on en parle, voi­là une inter­view de Well­mann Braud, l’au­teur d’un de ces pulps, «Zom­bies lubriques sous les tropiques».

Ginger Wheel.
Per­sonne ne connaît le visage de Gin­ger Wheel, ni son vrai nom. Dans les années 80, elle tra­vaillait pour des maga­zines under­ground aujourd’­hui dis­pa­rus et introu­vables, pour les­quelles par­fois elle posait nue. C’est une grande chance pour nous d’être tom­bé sur cette inter­view, longue et oubliée, qu’elle avait réa­li­sée de Well­mann Braud.

Un écrivain dans sa baignoire

Voi­là la tra­duc­tion d’une inter­view de Well­mann Braud, parue dans un maga­zine amé­ri­cain en 1984. L’intervieweuse est Gin­ger Wheel, bien connue des spécialistes.

Une île de rêve où vivre devient un cau­che­mar, des amants qui finissent mal, un détec­tive éro­to­mane en roue libre et des morts-vivants affa­més, sur­tout beau­coup de morts-vivants affa­més… Voi­là quelques-uns des ingré­dients au menu de «Zom­bies lubriques sous les tro­piques», le récent roman du talen­tueux Well­man Braud.

Je ne dévoi­le­rai pas davan­tage ici l’intrigue de ce «Zom­bies lubriques sous les tro­piques». Ce que je peux dire, c’est que j’ai dévo­ré ce bou­quin en deux fois seule­ment. La pre­mière, dans les trans­ports publics et la seconde, ambiance tota­le­ment dif­fé­rente, sur ma méri­dienne, au calme chez moi.

Qu’im­porte tou­te­fois l’en­droit où je l’ai lu, les conte­nus du livre tiennent en haleine et font tou­jours écho aux ins­tincts humains les plus basiques qui soient. La ven­geance, le pou­voir que confère l’argent, le désir sexuel dévoi­lé et assu­mé, l’agressivité, la non­cha­lance, la cruau­té… L’excitation et le dégoût aussi.

Comme j’a­vais très envie d’en savoir un peu plus sur l’au­teur et son uni­vers mor­bide et sexué, j’ai réus­si à convaincre mon rédac­teur en chef de me lais­ser aller l’interviewer.

Ren­dez-vous fut donc rapi­de­ment pris, par l’en­tre­mise de l’é­di­teur du bon­homme, pour autant que je m’en­gage à ne pas révé­ler la véri­table iden­ti­té du roman­cier, ni que je cherche à le pho­to­gra­phier à son insu.

Ayant, quelque peu à contre­cœur il me faut bien l’a­vouer, accep­té de me plier à ces deux exi­gences, voi­ci le compte-ren­du de cette éton­nante ren­contre, sur­ve­nue en une fin d’a­près-midi par­ti­cu­liè­re­ment gla­ciale, dans un café popu­laire du Queens, à New York…

A quel moment de la jour­née écri­vez-vous Well­man Braud?

Exclu­si­ve­ment le soir, entre 21 heures et minuit. Le reste du temps je suis fonctionnaire.

Bien marié?

Marié en effet, mais bien, ça je ne sau­rais le dire. Et puis je ne vois pas trop le rap­port avec ce que j’écris, mais enfin oui. Marié et avec des enfants aussi.

Vous avez vrai­ment des enfants, Wellman?

Bien sûr! Quatre même: trois filles et un gar­çon. Le gar­çon est le ben­ja­min évidemment…

Vous écri­vez où? Chez vous?

Oui, chez moi. Dans ma salle de bain, plus pré­ci­sé­ment. Le soir, je m’enferme avec ma machine à écrire et je tra­vaille. Je tape mes bou­quins très vite.

Ça ne fait pas trop de bruit quand vous tapez sur votre machine? Quelle taille a votre salle de bain?

Elle est assez exi­guë, mais je me mets dans la bai­gnoire et je tire le rideau.

Vous êtes assis com­ment dans votre baignoire?

Je me mets direc­te­ment au fond de la bai­gnoire, avec un cous­sin. Ma machine est posée devant moi, sur une planche en bois pla­cée en équi­libre sur le rebord de la bai­gnoire. Comme ça, je peux taper mes bou­quins sans problème.

Vrai­ment?! C’est très phy­sique! Il y a bien un enga­ge­ment phy­sique dans votre écriture?

Oui… ça, oui. Obligatoirement.

Dans le pre­mier cha­pitre de «Zom­bies lubriques sous les tro­piques», quand vous décri­vez l’arrivée sur l’île de cette jeune femme Cin­dy, elle est clai­re­ment exci­tée sexuel­le­ment et elle signi­fie clai­re­ment à son chauf­feur de taxi qu’elle veut de lui. Lorsque vous décri­vez cette situa­tion, dans quelle atti­tude vous  retrou­vez-vous Well­man… dans votre baignoire?

Je suis concen­tré sur ce que je tape. Je suis tou­jours contraint de taper le plus vite pos­sible. J’essaie donc d’ordonner à l’avance mes idées pour ne pas avoir besoin de faire plu­sieurs brouillons. Parce que je n’ai pas le temps, tout sim­ple­ment. Maté­riel­le­ment, je n’ai pas le temps de faire des dizaines de brouillons pour arri­ver à livrer un bou­quin par semaine.

Mais le rap­port que vous avez avec ce conte­nu exci­tant… Est-ce que vous êtes vous-même exci­té quand vous l’écrivez?

Oui, c’est un exu­toire. Une façon de m’échapper de mon quo­ti­dien. Si je ne suis pas le pre­mier exci­té quand j’écris, je ne pense pas que ça va mar­cher auprès du public. Il y a une cer­taine ten­sion dans l’écriture qui doit se créer et que le lec­teur doit aus­si ressentir.

Néan­moins, vous ne me dites tou­jours pas vrai­ment ce qui se passe dans votre corps, Wellman…

J’ai les deux mains occu­pées, donc pas le temps de faire autre chose.

Votre réponse est inté­res­sante, parce qu’en tant que lec­teur on reste aus­si tou­jours aux abords de l’excitation. Ça ne va jamais jusqu’au bout.

Peut-être parce que vous êtes une femme… Car si j’en crois les lettres de cer­tains lec­teurs, sur­tout semble-t-il des camion­neurs, que me montre de temps en temps mon édi­teur, pour eux, c’est tout à fait efficace !

Cin­dy appa­raît dans le rôle de celle qui est sur­ex­ci­tée et avec une seule inten­tion: assou­vir ses pul­sions. Et on n’ap­prend que par de petites infos d’où elle vient, qui elle est. Peut-être est-ce un per­son­nage un peu pauvre… Vous avez créé un por­trait psy­cho­lo­gique pour Cindy?

Disons que Cin­dy est un arché­type. La pro­jec­tion d’un fan­tasme mas­cu­lin. Sur com­ment un homme aime­rait qu’une femme soit. Les per­son­nages me viennent comme ça. Je prends très peu de notes. Je les laisse géné­ra­le­ment évo­luer tout seuls. Par exemple le per­son­nage du détec­tive ne devait pas être autant en roue libre. Au début, j’avais juste ima­gi­né un per­son­nage un peu reve­nu de tout et qui arrive dans le temple des médias et de la consom­ma­tion. Il com­mence alors à se grat­ter la tête et, de fil en aiguille, il se gratte d’autres par­ties et c’est comme ça que ça s’est enchaî­né jusqu’à deve­nir ce per­son­nage assez singulier.

C’est tout de même un per­son­nage plus épais que celui de Cin­dy, votre détective…

Certes, mais au bout du compte, elle est sur­tout fonc­tion­nelle, Cin­dy. Tan­dis que Per­ci­val Cecil Tay­lor, au contraire, est le héros. Et puis, il appa­raît beau­coup plus long­temps aus­si, donc ça per­met de le déve­lop­per au fur et à mesure.

Ce genre de déci­sions, vous les pre­nez en amont, Wellman?

Pas du tout. Vu les délais d’écriture, il n’y a jamais de plan de ma part.

Je suis intri­guée, c’est quoi vos délais d’écriture?

Tou­jours trop brefs, hélas! En fait, je ne reçois ni avance ni royal­ties, je suis payé en fonc­tion de ce que je livre. Un peu comme quelqu’un qui ferait des petits pains ou culti­ve­rait des légumes… Donc, en gros, j’ai un contrat avec mon édi­teur qui me réclame un bou­quin par semaine. À moi ensuite de choi­sir le sujet, un peu selon mes goûts, beau­coup selon les modes du moment…

On peut donc vous deman­der de pondre n’importe quel genre d’histoire?!

Dans l’ab­so­lu oui, mais il y a évi­dem­ment des genres que je maî­trise plus que d’autres ou que j’ap­pré­cie plus que d’autres. Je suis d’ailleurs un peu abon­né aux his­toires gore sau­pou­drées de scènes de cul en ce moment. Mais je pour­rai tout aus­si bien écrire sous pseu­do­nyme fémi­nin des romans à l’eau de rose ou des wes­terns. Et pour­quoi pas même de la science fic­tion, si l’oc­ca­sion s’en présentait.

J’ai eu quelques frus­tra­tions à la lec­ture de votre bou­quin. Quand les zom­bies attaquent Cin­dy et son chauf­feur, qui brûlent les deux de désir, ils sont asexués. Je veux dire, les zom­bies sont asexués. Je m’attendait à une grande orgie…

Effec­ti­ve­ment, et à la base, c’est bien ce qui devait adve­nir. Mais mon tra­vail a de nou­veau été contra­rié par les délais aux­quels je suis astreint… A un cer­tain moment, j’ai res­sen­ti comme un blo­cage dans la pro­gres­sion de l’in­trigue, mais comme il fal­lait livrer à tout prix, j’ai conti­nué du mieux que j’ai pu. Du coup l’his­toire a pris une autre direc­tion et voi­là le résultat.

Et puis, il y quand même quelques sous-enten­dus à ce niveau-là. Par exemple le moment ou l’un des zom­bies croque le sexe de Cindy…

Par­don­nez-moi, mais c’est plus gore que por­no­gra­phique ça. C’est un moment d’horreur et d’effroi.

Il y a quand même un sous-texte sexuel. Il ne lui a pas cro­qué le petit doigt non plus…

Lui cro­quer, lui arra­cher le sexe, comme vous dites, Well­man, c’est faire dis­pa­raître celui-ci, c’est le nier.

En quelque sorte, oui. Je suis assez d’ac­cord avec vous. Mais c’est aus­si rela­ti­ve­ment légi­ti­mé par la chute de l’his­toire… Chute qu’on ne va peut-être pas dévoi­ler ici, si pos­sible. En espé­rant que ce petit mys­tère puisse inci­ter les lec­teurs de votre maga­zine à ache­ter mon bou­quin. Comme ça mon édi­teur gagne­ra beau­coup d’argent et sera très content.

Le per­son­nage de Cin­dy est des­si­né pour don­ner envie et répondre…

Sur­tout pour mou­rir très vite.

Pour­quoi mou­rir aus­si vite, justement?

Quand on écrit des bou­quins de 100 pages, il faut que les situa­tions s’en­chaînent rapi­de­ment. On ne peut pas faire des cha­pitres éter­nels, avec de très longues des­crip­tions, parce que sinon, le lec­teur risque de s’ennuyer et de lâcher l’in­trigue avant la fin. Géné­ra­le­ment, le lec­teur qui lit ce genre d’his­toires ne les lit pas pour apprendre quoi que ce soit, il lit ça pour se diver­tir, oublier un temps ses pro­blèmes ou ses peines. En plus, il lit ça dans le métro, en ren­trant du bou­lot. Il est fati­gué, il y a du bruit autour de lui. Ce n’est pas le moment idéal pour se plon­ger dans un trai­té phi­lo­so­phique ou un mani­feste poli­tique. Par contre, ce genre de lit­té­ra­ture un peu légère, ça lui per­met de pen­ser à autre chose qu’à son quo­ti­dien minable et c’est tout ce dont il a besoin à cet ins­tant pré­cis, selon moi.

Mais ce n’est pas un cadre trop res­treint pour vous, Well­man, de vous adres­ser à la caté­go­rie de lec­teurs que vous décrivez?

Non, pas du tout. Et puis, les cadres c’est bien, car on peut tou­jours s’a­mu­ser à essayer de les faire explo­ser. Quand on n’a aucun cadre, c’est peut-être plus dur d’arriver à s’exprimer, d’é­crire quelque chose d’in­té­res­sant à lire. En tout cas, moi, la lit­té­ra­ture dite sérieuse m’en­nuie trop sou­vent, avec son égo­tisme petit-bourgeois…

D’accord, mais quel est le vrai moteur et la vraie motivation?

Le chèque que je reçois à la fin du mois, peut-être… Non, je rigole! Je crois que c’est assez clair: rendre sup­por­table grâce à l’i­ma­gi­na­tion l’a­lié­na­tion dont nous sommes tous vic­times dans cette socié­té hyper com­pé­ti­tive et déshumanisée.

On arrive bien­tôt au bout de cet entre­tien Well­man… J’aimerais bien, avant qu’on ne ter­mine, qu’on revienne un peu sur la figure de Per­ci­val Cecil Tay­lor, le détec­tive. Un fleg­ma­tique char­gé d’une mis­sion. Pour lui, vous avez créé un espace men­tal. On a accès à ses rêves un peu extra­lu­cides, son enquête enri­chit gran­de­ment l’univers de l’intrigue, même si mal­heu­reu­se­ment, sans vou­loir dévoi­ler trop sa des­ti­née, celui-ci n’est au final qu’un ins­tru­ment uti­li­sé par le père de Cindy…

Tout ce que vous dites est bien joli, comme vous d’ailleurs, mais n’est pas for­cé­ment aus­si conscient pour moi. En fait, comme je l’ai déjà dit plu­sieurs fois, il y a tou­jours cette contrainte du temps et donc, pour arri­ver à livrer dans les délais, je suis obli­gé d’at­teindre à une sorte d’écriture auto­ma­tique. Il y a donc sou­vent beau­coup de choses qui reviennent d’un bou­quin à l’autre et il y a aus­si beau­coup de choses qui peuvent peut-être paraître faire la sin­gu­la­ri­té du per­son­nage, mais qui ne sont pas néces­sai­re­ment propres au per­son­nage. Ces choses viennent fina­le­ment de ce que je vis et de ce que j’entends, que ce soit au bureau ou dans le métro, quand je rentre du travail.

En tout cas, vu les délais aux­quels je suis astreint, il n y a pas, me semble-t-il, cette réflexion de ma part. Pas autant struc­tu­rée en tout cas que ce que vous sem­blez le croire.

Mal­gré ça, un déve­lop­pe­ment est remar­quable pour ce per­son­nage du détec­tive. Une épaisseur…

Oui, sur­tout une épais­seur de feuillets, parce que ça rem­plit de la page, toutes ces pen­sées plus ou moins vaseuses… Et puis ça m’a­muse, je dois bien l’avouer.

Mais alors?

Alors quoi? L’intérêt pre­mier de cette lit­té­ra­ture, c’est de diver­tir. Sans plus. Et pour cela, l’au­teur doit être capable de don­ner envie au lec­teur d’al­ler au bout de son bou­quin. Il doit l’in­ci­ter à tour­ner les pages. Et ce n’est déjà pas rien, cela demande un cer­tain talent ou en tout cas du métier, croyez-moi…

Sur quoi tra­vaillez-vous actuel­le­ment, Wellman?

Un bou­quin par semaine comme d’ha­bi­tude, donc il me faut pro­duire sans m’ar­rê­ter. Géné­ra­le­ment, ça démarre sur un détail que je remarque dans la rue et qui me donne une idée. Idée à par­tir de laquelle je crée un vague synop­sis et ensuite, je fonce. Je m’enferme dans ma salle de bain et je démarre mon bou­quin. Des fois, ça suit le synop­sis et d’autres fois, ça bifurque en cours de route. Cette semaine, c’est de nou­veau une his­toire très gore, avec encore un peu de sexe, mais sans zom­bie tou­te­fois. J’ai déjà presque ter­mi­né de l’é­crire, à vrai dire, mais il me manque encore le titre à trou­ver… Vous n’au­riez pas une idée?

Pro­pos recueillis le dix jan­vier 1984 par Gin­ger Wheel

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