Dans l’enfer du désert — Partie 1

Un wes­tern plu­tôt glauque, en deux par­ties, de Jef­fer­son Mumford

C’est la fiente lâchée par un vau­tour qui réveilla en sur­saut Dun­can Scott… Du genre mala­bar, le type avait le che­veu aus­si rare que gras, la pom­mette droite tra­ver­sée par une hideuse balafre mal cica­tri­sée et les joues clair­se­mées de poils noirs et épais, sem­blables aux soies d’un porc Gas­con. Tel­le­ment laid et pati­bu­laire à la véri­té qu’il aurait aisé­ment pu pra­ti­quer un avor­te­ment sans aiguille à tri­co­ter, juste en exhi­bant d’un peu trop près sa sale bobine… Et ça n’al­lait pas être la copieuse rasade de merde d’oi­seau qui venait de s’a­battre sur lui qui allait ris­quer de lui arran­ger le por­trait. Encore moins de le rendre plus présentable !

En tous les cas, le cow­boy fut tel­le­ment sur­pris d’être ain­si arra­ché à son coma­teux som­meil par cet ines­pé­ré cadeau (lit­té­ra­le­ment tom­bé du ciel, c’est le cas de le dire), qu’il se redres­sa ins­tinc­ti­ve­ment. Et ce fai­sant, il ne man­qua pas d’a­va­ler sa salive, tout autant que ce qu’il avait d’autre dans la bouche… Or, pour son plus grand mal­heur, le gaillard ron­flait éten­du sur le dos, le cla­poir ouvert, à l’ins­tant où l’in­dé­li­cat vola­tile avait déci­dé de se sou­la­ger… Ain­si sen­tant l’in­fâme goût de fiente se répandre dans tout son être, Dun­can Scott se mit-il à tous­ser comme un dam­né. Puis, ne pou­vant s’ar­rê­ter, sub­mer­gé par la nau­sée qui lui retour­nait le garde-man­ger, lui révul­sait les tripes, com­men­ça-t-il à cra­cher et finit-il par aller au refil.

Une couple de minutes plus tard, lors­qu’il eut ter­mi­né de vider le conte­nu de son esto­mac bar­bouillé sur le sol aride, for­mant à côté de lui une large flaque à l’o­deur pes­ti­len­tielle, le mala­bar s’es­suya la bouche d’un revers de main et regar­da alen­tour. Avec atten­tion d’a­bord, puis car­ré­ment incré­du­li­té. Et il y avait de quoi ! Il y avait vrai­ment de quoi ne pas en croire ses yeux, car n’im­porte où qu’il se déci­dât à poser le regard, Dun­can Scott ne par­ve­nait à dis­cer­ner que pier­raille et caillasse. Pas la moindre végé­ta­tion, ni le moindre ani­mal à l’ho­ri­zon. Encore moins une mai­son ou un quel­conque être humain… Jus­qu’à perte de vue, il n’y avait effec­ti­ve­ment devant Scott que cette inter­mi­nable éten­due déser­tique. Comme si le gaillard au repous­sant faciès et aux habits tachés de fiente d’oi­seau se trou­vait lit­té­ra­le­ment per­du au milieu de nulle part !

La ques­tion qui tarau­da bien­tôt Dun­can Scott, plus encore que de savoir ce qu’il fou­tait là, fut cepen­dant : com­ment y était-il arri­vé ? Mais sur­tout, com­ment allait-il par­ve­nir à se tirer de ce mau­dit endroit ? Car à pre­mière vue, s’il était venu jus­qu’i­ci à dos de che­val ou de tout autre mon­ture (un âne ? Une mule ? Une vache ?!), celui-ci de canas­son (ou autre) s’é­tait bar­ré entre­temps, le lais­sant seul en plein désert !

Seul et sans eau ni vivres. Alors autant dire que la situa­tion n’a­vait rien de réjouis­sant. Encore heu­reux, le bala­fré put le consta­ter du bout rugueux de ses doigts, ce qui le ras­sé­ré­na quelque peu, même si cela ne l’ai­de­rait cer­tai­ne­ment en aucune manière à résoudre son pro­blème immé­diat, il tenait tou­jours son fidèle six coups à sa por­tée. Sans son pré­cieux Colt dûment char­gé, Dun­can Scott n’au­rait vrai­ment plus su quoi faire, lui qui aurait nor­ma­le­ment dû se trou­ver dans sa chambre d’hô­tel, à Flag­staff, en train de cuver sa cuite de la veille…

Pour le moment en tout cas, incom­mo­dé tant par l’o­deur fétide de ses déjec­tions que par la cha­leur qui régnait en plein soleil dans ce mau­dit désert, Scott déci­da qu’il était plus que temps de se mettre en che­min, même s’il n’a­vait abso­lu­ment aucune idée de là où il se trou­vait, ni de là où ses pas allaient bien pou­voir le mener…

***

Le cow­boy mar­chait depuis un cer­tain temps déjà, la gorge de plus en plus dou­lou­reu­se­ment sèche, lorsque de manière presque ins­tinc­tive il plon­gea une main dans l’une des poches de son gilet éli­mé. Il sen­tit alors le ren­fle­ment de ce qui devait être son paquet de tabac. Scott ne s’i­ma­gi­nait même pas le pos­sé­der encore.

Depuis qu’il s’é­tait réveillé dans le désert, le bala­fré n’a­vait pas fumé. Il était temps que cela change…

Dun­can Scott se rou­la une ciga­rette et se la four­ra dans le cla­poir. Mais lors­qu’il l’al­lu­ma, il se mit à tous­ser comme une col­lé­gienne à sa pre­mière bouf­fée. Jamais de sa vie de fumeur, pour­tant déjà pas­sa­ble­ment longue, son «Blackwell’s Genuine Durham» ne lui avait paru aus­si fort, au pati­bu­laire cow­boy… Com­ment cela était-il pos­sible ? Était-ce dû à la soif qui le tenaillait ? Ou alors à son incom­men­su­rable fatigue ?

Scott aspi­ra une nou­velle fois la fumée et comme sa toux se cal­ma d’elle-même, il ces­sa de se tor­tu­rer les méninges pour si peu. Il est vrai qu’il avait d’autres sou­cis bien plus urgents à résoudre. N’empêche, sa ciga­rette pos­sé­dait un drôle de goût, une saveur qu’il ne lui avait jamais connue auparavant.

***

La jeune femme était à peine per­cep­tible de la berge, en grande par­tie dis­si­mu­lée par les trombes d’eau qui cas­ca­daient avec fra­cas du haut de la falaise. Mais à chaque fois qu’é­mer­geant des flots, son sculp­tu­ral corps se lais­sait devi­ner, le spec­tacle valait indé­nia­ble­ment celui offert par les plus girondes pen­sion­naires des meilleurs bor­dels du com­té de Coconino !

La poi­trine était ferme, joli­ment déve­lop­pée. Le ventre plat attes­tait de la vie saine et active que la demoi­selle ne devait pas man­quer de mener. Quant à sa pilo­si­té pubienne, déli­cieu­se­ment four­nie, elle était d’un noir pro­fond de nuit sans lune. Exac­te­ment comme sa longue che­ve­lure qui, jus­qu’à ses fesses, ondu­lait sen­suel­le­ment sous l’im­pé­tueuse caresse de l’élé­ment liquide.

***

Dun­can Scott rou­vrit les yeux dans un sur­saut, comme s’il venait d’être tiré d’un mau­vais rêve. La vue brouillée, le mala­bar à l’ha­leine fétide pei­nait à dis­tin­guer le pay­sage s’é­ten­dant au-devant de lui. D’un autre côté, cela n’a­vait pas grande impor­tance, car tout n’é­tait que déso­la­tion, pier­raille et into­lé­rable cha­leur à la ronde.

S’é­tait-il éva­noui ? Avait-il conti­nué de mar­cher sans s’en rendre compte ? Scott n’au­rait pu répondre avec assu­rance. En tout cas, si le soleil avait à pré­sent atteint son zénith, il n’en allait cer­tai­ne­ment pas de même pour son humeur. Celle-ci lui don­nant plu­tôt l’im­pres­sion de bai­gner au fin fond de ses bottes râpées, juste entre ses vilains orteils aux ongles mycosés…

Dun­can Scott se sen­tait d’ailleurs tel­le­ment dépri­mé par son éprou­vante situa­tion qu’il se sur­prit à dési­rer boire de l’eau. Oui, de l’eau ! Jamais le pati­bu­laire gaillard éga­ré dans le désert n’au­rait hon­nê­te­ment cru cela pos­sible. Pas depuis qu’à l’a­do­les­cence il avait décou­vert l’al­cool et les joies de l’i­vresse tout au moins… Mais à cet ins­tant pré­cis, il était tel­le­ment assoif­fé qu’il n’au­rait pas hési­té à essayer de vendre sa mère contre une gourde bien remplie.

Peut-être même, s’il avait pos­sé­dé quoi que ce soit (et sur­tout un peu de culture), Scott aurait-il été jus­qu’à clai­ron­ner qu’il était prêt à échan­ger son royaume contre un che­val, mais les choses étant ce qu’elles sont, et lui plus modeste que le sha­kes­pea­rien Richard III, un simple bidon rem­pli d’eau fraîche aurait assu­ré le bon­heur du mala­bar balafré.

Quant au fait de vendre sa mère, c’é­tait une façon de par­ler évi­dem­ment… Pas que Dun­can Scott témoi­gna un res­pect par­ti­cu­lier à celle qui l’a­vait mis au monde une tren­taine d’an­nées aupa­ra­vant, mais pri­mo : il igno­rait tout autant si sa géni­trice comp­tait encore au nombre des habi­tants de cette terre, que l’en­droit où elle pou­vait bien se trou­ver si tel était le cas. En outre, l’as­soif­fé cow­boy ne nour­ris­sait hélas aucun espoir quant à ses éven­tuelles chances de suc­cès… Car connais­sant le carac­tère extra­ver­ti de la «dame» comme son tumul­tueux pas­sé, il était cer­tain que si sa mère s’a­vé­rait tou­jours vivante et «consom­mable», elle n’au­rait nul besoin de l’en­tre­mise de son affreux reje­ton pour mon­nayer ses charmes au meilleur offrant…

N’empêche, Scott avait tou­jours aus­si soif tan­dis qu’il allu­mait avec rési­gna­tion une nou­velle cigarette.

A suivre


«Dans l’enfer du désert» a été ini­tia­le­ment publié par nos amis de Pulpe-a-go-go

Deux micro-nou­velles de Jef­fer­son Mumford

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