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Une nouvelle d’Anastas de Montslip
Ce récit, où se rencontrent Sophie Rostopchine et Marc Dorcel, mêle classicisme poussiéreux et perversion.
Vous apprendrez au travers de cette lamentable et néanmoins édifiante histoire, combien un comportement dénué de moralité peut infliger de souffrances à des générations entières d’êtres pourtant destinés à la piété.
Une fable tout spécialement destinée aux petites sottes et aux jeunes cons, à toutes les pucelles et puceaux écervelés qui doivent encore prouver au monde leur valeur dans cette vie dont ils ignorent tout des pièges sournois. Puissent-ils, et surtout puissent-elles, y découvrir les vertus de l’abnégation et le pouvoir divin de la bonne éducation.
Honoré-Gontran Belfiente, Vicomte de Montaucul et français de naissance, était venu s’établir en Suisse suite à un revers de fortune qui l’avait rendu persona non grata sur le sol de sa mère-patrie. Il y avait laissé foule de créanciers irrités et vindicatifs. Ses affaires toujours florissantes l’emmenaient dorénavant aux quatre coins du monde. Des jungles impitoyables de l’Afrique aux royaumes sanguinaires d’Extrême-Orient, des contrées impies de l’Arabie aux territoires dégénérés de l’Amérique, le cupide Vicomte traversait au péril de sa vie moultes terres barbares afin d’accroître encore sa fortune déjà colossale. En effet, le talent d’Honoré-Gontran pour le commerce, ainsi que sa malhonnêteté et son avidité, toutes deux sans bornes, avaient fait de lui un homme immensément riche. Las! Cette entreprise ne laissait guère de temps à Belfiente de Montaucul pour trousser justement son épouse.
La Vicomtesse ne comptait de ce fait plus les mois depuis la dernière fois où le Vicomte avait daigné fourrer son tunnel d’amour. Elle ne les comptait littéralement plus, car elle avait beau être gracieuse et sensuelle, elle n’en était pas moins sotte. Dès lors, elle ne savait compter que jusqu’à dix, le nombre de ses doigts. La gourgandine onques ne pensa à dénombrer ses orteils, ce qui lui eût permis de compter deux fois plus.
Entourée de rustiques Helvètes qui n’étaient à ses nobles yeux que des manants grossiers et sans intérêt, Marie-Vespasienne de Montaucul se languissait du Paris mondain, pleurant l’ivresse d’une bienheureuse futilité à jamais perdue. Elle passait ses journées esseulée et désoeuvrée dans la vaste propriété d’Ouchy, secondée par de nombreux domestiques dont le travail consistait à laisser à leur maîtresse toute latitude pour ne rien faire. Mais sous ses toilettes raffinées, la coquine cachait une cochonne dépravée. une sorcière hédoniste assoiffée de luxure. Aussi eut-elle vite fait d’identifier la spécialité sexuelle de tout un chacun parmi le personnel de maison..
L’abbé Vermot, par exemple, précepteur de ses enfants, possédait des mains qui étaient celles-là même du Diable. L’homme sec et impuissant savait glisser avec une suave cruauté ses longs doigts glacés dans chacun des trois trous dont la Création avait doté la Vicomtesse. Cette dernière frissonnait d’un plaisir malsain lorsque le saint homme s’affairait en elle. Oscillant entre jouissance et horreur, elle avait la sensation que les doigts maudits la fourrageaient jusqu’au plus profond de son être et violaient jusqu’à son âme.
Il y avait aussi Shinzaburo, le maître d’armes japonais, que les longues absences répétées de Belfiente forçaient à une inactivité qu’il abhorrait. Le pauvre homme s’était découvert un amour immodéré pour les vins du Lavaux et avait bien failli sombrer dans l’alcoolisme jusqu’à ce que Marie-Vespasienne découvrît qu’il possédait une aptitude naturelle pour les cordes et les noeuds. Très au fait des plus perverses traditions du Soleil Levant, le samurai s’était avéré Maître ès shibari, cet art qui consiste à attacher et suspendre des corps nus à l’aide d’une corde. Il procurait à sa proie entravée cette véritable extase béate, appelée kôkotsu et dont la Montaucul raffolait tant.
Nous ne saurions les énumérer tous ici. Il suffit de savoir que la truie avait su s’entourer d’une légion démoniaque et lubrique afin de satisfaire le moindre de ses penchants pervers.
Ceux de la valetaille qui ne possédaient aucun talent particulier que la Vicomtesse put utiliser pour son propre plaisir, furent rapidement congédiés. Seul Luigi, le cuisinier de souche piémontaise, échappa à ce sort. Son père déjà cuisinait pour la famille de Montaucul, de sorte que Luigi et le Vicomte se connaissaient depuis leur plus tendre enfance. Les couloirs maintenant vides du manoir vicomtal doivent encore résonner des rires de leurs jeux d’enfants, et des gémissements étouffés des deux garçons vivant leurs premiers émois charnels entre compagnons de toujours. Un lien indéfectible unissait les deux hommes, et jamais Honoré-Gontran n’eût accepté que son ami se voie remercié.
L’histoire qui nous concerne se passe par une charmante journée ensoleillée du beau mois de mai 1868. La Vicomtesse se réveilla de fort bonne disposition ce matin-là. Après un petit-dêjeuner frugal et sain, elle s’accorda une première coupe de vin de Champagne et fit mander sa femme de chambre pour s’occuper de sa toilette. Eléonore, c’était son nom, prépara méticuleusement le bain de sa maîtresse, versant dans l’eau bouillante la dose voulue des différents sels. Quand enfin l’eau eut atteint la température requise, la soubrette pria humblement sa dame de bien vouloir y plonger son corps lisse et voluptueux, qu’elle frotta et lava alors avec douceur et soin. La Vicomtesse se retira ensuite dans son boudoir où elle se fit porter quelques viennoiseries au hashish, une drogue orientale qu’elle avait découverte à Paris grâce à Monsieur Baudelaire, un aspirant-poète taré et plaintif aux vers geignards. Une demi-heure plus tard, alors que le stupéfiant commençait à accomplir son oeuvre néfaste, une langueur irrépressible s’emparait de Marie-Vespasienne qui se laissa aller à quelque rêverie érotique. Elle fut vite débordée de visions épileptiques de chairs gonflées et humides, de trous béants ruisselant de mouille et de foutre, brusqués par des membres tendus ou des objets aux formes anormalement vicieuses. Bientôt le corps de la salope se tendit, sa chair, écorchée vive par la drogue maudite, hurlait de manque. Elle sonna frénétiquement Eléonore qui trouva sa maîtresse affalée dans son plus simple appareil sur le grand sofa. Le fruit enflé de désir de la Vicomtesse déjà laissait perler son jus de baise entre les cuisses largement écartées: “Tu en as mis du temps, la souillon! Les pinces! Les pinces et la lèche!”
La putain répondit prestement à l’ordre de sa maîtresse qui savait se montrer cruelle lorsqu’insatisfaite. Agenouillée au pied du sofa, elle acheva de faire darder les nobles mamelons en les triturant de trois doigts chacun, après quoi elle s’arma des pinces à tétons chinoises. Eléonore laissa doucement les embouts d’or rouge se refermer sur les pitons mammaires dressés de l’obsédée despotique. Très délicatement, elle saisit les ailettes finement ouvragées à l’image d’ailes de papillon et commença a tourner, par gestes longs et réguliers, augmentant chaque fois la pression de l’instrument oriental dément sur le doux sein. La Vicomtesse laissa échapper un râle de douleur alors que le pincement se fit cruel. Elle attrapa la chevelure de sa catin qu’elle dirigea vers sa vulve flamboyante. Eléonore plongea sa bouche experte entre les cuisses de la Montaucul et entreprit d’explorer les abords du sexe en sueur. Elle léchait, baisait, mordillait entrejambe et lèvres et parfois sa langue s’égarait dans l’anus vicomtal ou venait frétiller avec légèreté sur son bouton. La Vicomtesse se cambra et pressa plus le visage de la camériste contre sa chatte. D’une main Eléonore écartait petites et grandes lèvres, sa langue précise se promenait le long du clitoris tout en l’excitant de vives lèches transversales qui faisaient se trémousser et glousser l’enragée libertine. De son autre main la camériste avait agrippé la chaîne sertie de pierres étincelantes qui reliait les deux pinces mammaires. Elle levait, tirait, tendait, étirait les nichons brûlants. Bientôt Marie-Vespasienne explosa de tout son être, elle jouit longuement et cria, le bassin agité de soubresauts. Soudain submergée, elle referma son entrecuisse et envoya sa servante au sol d’un coup de pied sec et ajusté. Cette dernière sachant son travail fini, se retira silencieusement.
Vivifiée par ce traitement, la Vicomtesse ne souhaita pas en rester là. Toute frétillante de l’anus, elle décida d’aller trouver le garçon d’écurie. Elle appréciait en effet le vigoureux jeune homme pour son long membre auquel le gland protubérant donnait une forme de champignon. D’un diamètre médian, il était parfait pour la sodomie. Marie-Vespasienne avait toujours considéré le coït anal comme la forme de contraception la plus efficiente. Elle passa une robe de chambre, longea rapidement la galerie d’étage surplombant le vestibule, et poussa la porte de l’escalier de service qu’elle descendit en toute hâte. C’était là effectivement le chemin le plus court pour atteindre les écuries. La Vicomtesse rencontra Berthe alors qu’elle s’apprêtait à traverser les cuisines. La grosse servante, rendue suante par le dur mais juste labeur déjà accompli depuis l’aurore, astiquait énergiquement une pièce d’argenterie lorsque sa patronne s’immobilisa devant elle. Le regard de la Vicomtesse, semblant réfléchir un instant, se perdit brièvement dans les vastes mamelles de la domestique porcine, qui tremblotaient et remuaient au rythme vif du frottage.
— Laisse là ton ouvrage, intima subitement la Montaucul. Je dois me rendre aux écuries pour quelque astiquage bien plus essentiel que celui-ci, et je me sens d’humeur à subir un lavement préalable.
— Très bien, Madame. Si vous voulez bien vous rendre dans votre salle d’eau, je vous y rejoindrai une fois que tout est préparé pour votre service.
— Que nenni! Je souffre d’envies pressantes et ne saurai attendre plus. Nous ferons dès lors notre affaire ici-même, en cuisine. Mon délicat tréfonds demande quelque suavité avant l’enculage, aussi utiliserons-nous du lait d’ânesse tiède aujourd’hui.
— A votre aise, Madame, obéit Berthe qui mit le liquide à chauffer doucement non sans avoir préalablement ajouté la dose prescrite d’opiacés.
— Voilà qui me sied, approuva la Vicomtesse tout en s’assoyant avec élégance à la table de l’office. Maintenant apporte-moi donc cette bouteille de porto et un verre. Et va‑t’en quérir Romuald.
Berthe obtempéra avec diligence bien que la présence de Romuald lors du lavement, promesse de souillures infâmes, ne lui dît rien qui vaille. Mais elle connaissait la frénésie hystérique qui habitait sa maîtresse chérie en cet instant et savait que le plus petit contretemps ou le moindre faux-pas, comme le lait un peu trop chaud, lui vaudraient le fouet. Ainsi fut-elle de retour sans délai, suivie quelques minutes plus tard de l’employé requis par sa dame. Romuald était le comptable masochiste du Vicomte, un être servile devenu rapidement la proie favorite des élans sadiques ponctuels de l’épouse de son patron. Sous ses tortures cruelle et inventives, le jeune homme fragile avait atteint la béatitude dans l’avilissement. Ainsi, au gré des humiliations, Romuald, bercé par un doux sentiment de plénitude, avait fini par trouver une famille chez les Montaucul. Il leur vouait une fidélité et un amour cordial tous deux sans failles, et luttait avec fougue et passion pour la santé et la prospérité financières de ses maîtres. Il trouva la Vicomtesse penchée sur la grande table de l’office, son verre de porto dans une main et la bouteille dans l’autre. Berthe avait déjà relevé la robe de chambre, révélant le cul dressé et impatient de l’odieuse patricienne qui intima: “Retire tes frusques, porc. Et allonge-toi dos au sol. Suite au lavement, je t’offrirai le sacrifice eucharistique de mon fondement.”
Berthe s’en alla chercher la casserole de lait tiède opiacé et la plaça idéalement pour l’ouvrage à venir. Elle ouvrit ensuite l’imposant buffet dont elle tira la poire à lavement familiale en porcelaine de la manufacture Royal Limoges. Enfin, elle déposa un petit tabouret juste derrière la Vicomtesse. Mais soudainement cette dernière s’offusqua en considérant le corps mince et maintenant nu de Romuald, coupant net la servante dans son travail: “L’ignoble pourceau bande déjà! Je ne goûte nullement que cet étron éprouve un quelconque plaisir sexuel durant l’opération. Berthe, Berthe, Berthe! Règle-ça! Et avec diligence! Par tous les dieux!” Ostensiblement irritée par cet imprévu, ladite Berthe posa la poire et remporta en soupirant la casserole à tempérer. Elle glissa le petit tabouret à portée du jeune homme tremblant, y assit sa croupe grasse et entreprit de travailler à la main le petit pénis dardant du comptable. Bien vite, elle astiqua avec véhémence sa pine qui se tendit à l’extrême. Mais bientôt la véhémence devint violence et le pauvre garçon laissait échapper maints geignements tandis que la grue obèse le branlait brutalement de sa main rêche et boudinée. Romuald se mordait la lèvre inférieure pour réprimer tout cri lorsque sa queue rougie, saisie de spasmes, exhala douloureusement de longs jets de semence.
L’esclave avait pour interdiction formelle de se masturber ou de forniquer afin de conserver l’entier de son liquide séminal pour sa maîtresse. C’était là l’une des nombreuses directives qui peuplaient son quotidien et auxquelles il obéissait scrupuleusement.
Sa besogne ainsi achevée, Berthe essuya le foutre de sa main sur le visage de Romuald ainsi que sur sa chevelure qu’elle agrippa ensuite pour projeter sa victime à terre: “Nettoie-moi c’te crasse mènant.” Le comptable entreprit de lécher consciencieusement le sperme répandu sur le sol de la cuisine et Berthe put enfin se consacrer à sa maîtresse. Bien installée à hauteur du noble cul, elle en écarta les fesses, dévoilant l’oeillet affamé qui semblait pulser de désir. Elle déposa une belle motte de saindoux à son entrée et enfonça enfin la poire à lavement dans le fion de la Vicomtesse. Celle-ci soupirait d’aise alors que le liquide lui pénétrait langoureusement l’anus pour se déverser dans sa panse. Berthe répéta encore maintes fois l’opération jusqu’à ce qu’après l’ultime poire, sa dame, enfin, exhalât en un long râle: “Aaaaarrrh, oui, je suis pleine, aaah…”
La Vicomtesse avait laissé tomber son verre de porto, elle poussait de rauques soupirs alors que son trou de cul laissait échapper moultes petites flatulences mouillées. Elle se releva, les entrailles gavées et dégoulinantes, et alla se placer jambes écartées au-dessus du visage de Romuald, maintenant étendu dos au sol sur le froid carrelage. Aussitôt une cascade infâme de diarrhée laiteuse se déversa sur la gueule et dans la bouche de son esclave qui, saisi d’un irrépressible haut-le-coeur, éructait bruyamment alors qu’il avalait l’atroce nectar anal.
C’est alors que Marie-Vespasienne déchargeait bruyamment une dernière dégoulinade rectale que Luigi surgit fort inopportunément dans la cuisine:
— Disgraziata! Mignotta! Quand le Vicomte saura quelle gueuse nymphomane tu es, il en sera fini de toi, sgualdrina!
— Comment oses-tu, larbin! user d’un tel ton envers ta maîtresse?
— Tu seras chassée, jetée à la rue sans le sou. Haaaaa ha, tu pourras enfin accomplir ton destin de traînée! Retourne donc dans ce Paris que tu chéris tant! Un bordel, sans doute, acceptera une déchue de la haute pour y vendre sa chair, qui bien vite se flétrira sous les abus des consommateurs vicieux. Alors ta vraie nature se révélera au monde, lorsqu’enfin tu ne seras plus qu’un sac à foutre informe et fané. Alors, oui alors Honoré-Gontran reconnaîtra ma fidélité et ma flamme, pures et intactes malgré les années d’attente et de frustration, et alors oui, oui nous pourrons nous aimer, libres, enfin, pour toujours et à jamais!!!
Luigi sortit comme par magie une pointe sèche de sous sa toque de chef, s’empara d’une large poêle en cuivre et entreprit d’y graver fidèlement la scène monstrueuse dont il venait d’être le regrettable témoin. La photographie était alors encore l’affaire de quelques rares scientifiques. La Vicomtesse perdit pied brutalement. Elle se saisit de l’attendrisseur à viande et se rua, nue et hurlante, sur l’injurieux cuisinier homosexuel. Elle brandit haut le lourd maillet métallique au moyen duquel elle défonça d’un geste ample le crâne piémontais, qui éclata comme une pastèque trop mûre.
Le corps de l’homme s’écroula comme une chiffe molle. Une immense mare de sang s’écoula de la ruine de tête encore accrochée au reste de la personne. La Vicomtesse resta immobile, livide, chancelante dans sa chair et dans son esprit niant la nature bien réelle du cadavre mutilé qu’elle considérait l’oeil vide… “Madame, Madame! Le Vicomte!”
Des appels et des pas rapides retentirent dans le couloir menant à l’office au sol baigné de sang, de bouts de cerveau, de fragments osseux et de jus intestinal lacté à la merde et à l’opium. Il y en avait jusque sur les murs. Marie-Vespasienne retrouva soudain sens et raison: “Ecoutez-moi bien. Il en va de notre vie à tous. Berthe, vois ce qu’il en est de ce tapage domestique et débarrasse-nous de tout importun. Romuald, nettoie avec élan, fais disparaître les traces compromettantes de ce fâcheux incident!”
Le comptable n’avait de sa vie jamais ressenti terreur si épouvantable. Nu, sali et tremblant, il s’était recroquevillé dans un coin sombre et serrait contre lui le seau d’ordures alimentaires destinées aux cochons en pleurant. Mais aux ordres dictés par sa maîtresse, la nature masochiste du garçon reprit le dessus, enfouissant l’effroi et l’horreur du moment dans quelque obscur repli secret de son âme déjà sordide et perturbée. Il se mit prestement à quatre pattes et entreprit de lécher, à nouveau, le sol de la cuisine:
— Vertudieu, mais cesse donc, imbécile! Tu ne parviendras jamais à tes fins de la sorte, va trouver Eléonore et portez tous deux ici les eaux de mon bain matinal, ainsi que force chiffons.
— Madame, me voici porteuse de nouvelles graves que je tiens de Wilfrid-Siegfrid, s’exclama Berthe, de retour de sa brève enquête.
— Eh bien parle, la gueuse! Quel est donc cette chose si terrible qui tant trouble notre teutonne tante domestique?
— Votre époux, Madame, est de retour plus tôt que prévu. Monsieur le Vicomte est arrivé tantôt par la diligence postale de Coire. Il sera en ces murs avant peu.
— Cette chose au sol, qu’est-ce donc? L’un de tes tristes haillons?
— Un sac de patate vide, Madame.
— Eh bien porte-le céans, et munis-nous d’outils pour découper le cadavre de l’italien en pièces telles que nous puissions les y fourrer.
— Nous voilà, Maîtresse, annonça Romuald qui, de retour, portait avec Eléonore la baignoire encore remplie de la Vicomtesse, serviettes et draps.
— Oh mon Dieu, qu’est-il advenu en ces lieux, s’exclama la camériste manquant de défaillir?
— J’ai demandé à Berthe d’apprêter un sanglier pour le retour de Monsieur, répondit vivement sa patronne. Mais l’animal était sauvage et a fait montre de violence. Il s’est tant et tant débattu que nous avons dû l’achever.
— Un sanglier, apprêté de la tenue de Luigi?
— Une bête effectivement démoniaque, certes!
Armées de hachoirs, de scies et de maillets, Berthe et Marie-Vespasienne se mirent à l’oeuvre, brisant et tranchant la dépouille de l’infortuné cuisinier. Autour des deux femmes diaboliques, Eléonore et Romuald épongeaient et récuraient avec passion, portés par une sainte ferveur que seuls connaissent les humbles qui, comme eux touchés par le Seigneur, ont reçu Son don sous la forme de cette inclinaison naturelle à servir leurs supérieurs dans la fidélité béate et la joie servile. La Vicomtesse se félicita en cet instant précis d’avoir su choisir sa valetaille avec la plus éminente sagesse.
Une fois les restes dépecés de Luigi dûment rangés dans le sac à patates, Berthe se vit ordonner de faire disparaître à jamais l’embarassant fardeau, Eléonore et Romuald, quant à eux, furent sommés de quitter promptement les lieux avec la baignoire maintenant remplie de serviettes ensanglantées. Les domestiques partis, la cuisine avait l’air ma foi très convenable. La Vicomtesse scruta très précisément la pièce pour s’assurer qu’il ne restât nulle trace de son méfait. Alors qu’elle jetait un oeil sous la grande table, elle fut saisie d’une terreur telle que son sang se glaça: l’on avait oublié là un atroce monticule, un monceau de restes broyés de Luigi. Sur le haut du tas sanguinolent, pris dans l’amas de cervelle, de débris osseux et de cheveux, saillait un oeil: de l’au-delà, le malheureux cuisinier semblait fixer sa meurtrière, la maudissant d’un ultime regard courroucé. Prise de panique, la vilaine dame s’empara d’une cuvette qu’elle emplissait, à main nue, de la masse sanglante, lorsqu’elle se vit ainsi apostrophée:
— Eh bien eh bien, ma très chère épouse! Je venais aux nouvelles auprès de Luigi et je vous trouve céans en fort gênante posture. Sous la table la croupe en l’air! Voilà qui est burlesque. Sachez, Madame, que je piaffe d’impatience, tel un jouvenceau, à l’idée de vous monter prochainement. Les catins sémites que j’ai fréquentées lors de mes récents voyages se sont avérées lassantes sur la longueur.
— Honoré-Gontran, mon cher! Quelle joie de vous voir rentré en ce jour, mentit la Vicomtesse en se relevant la cuvette à la main.
— Il est peu commun de vous voir à l’office. Mais que tenez-vous là? Quelle est donc cette mystérieuse élaboration culinaire?
— Ah, ceci… ceci, figurez-vous, est une surprise.
— Vous m’excitez, Marie-Vespasienne, vous me titillez! Allons, dites m’en davantage, j’insiste: que diable tenez-vous là?
— Ceci, Monsieur, est de la chair à saucisse, déclara Berthe, dont le retour très propice sauva la Vicomtesse de l’embarras.
— Tiens donc. Une recette de ce brave Luigi?
— Ah non, Monsieur, c’est une recette que nous avons élaborée avec Madame pendant que vous étiez loin, aussi vrai que j’vous l’dis! De la saucisse à la cervelle exprès pour vous, qu’elle voulait Madame!
— Certes, mon ami, poursuivit la Vicomtesse. Et prévenue de votre retour prématuré, j’ai décidé d’aider Berthe à confectionner de ces saucisses… moi qui entendais vous gratifier d’une surprise, j’ai failli.
— Allons, allons, ma femme chérie, ne vous lamentez pas. Votre amour pour moi vous rend infiniment inventive et votre attention m’émeut sincèrement: apprenez que je me réjouis de déguster votre création! Mais pour l’heure, où est donc ce charmant coquin de Wilfrid-Siegfrid? J’ai mille anecdotes à lui dicter, mais en sa compagnie je commencerais bien par une décoction de feuilles de coca, suivie d’une partie de boxe française autour d’une bouteille de mezcal.
Le Vicomte tourna alors les talons sans plus un mot et quitta les deux femmes en appelant avec insistance son loyal secrétaire féru de noble art et de stupéfiants exotiques.
Toi qui me lis, reprends espoir! Le pire pour toi est passé car nous voilà bientôt arrivés au terme de cette sordide histoire.
Une fois Belfiente parti trouver Wilfrid-Siegfrid, la Vicomtesse, malgré tout très choquée par les récents événements, se retira dans ses appartements où elle s’enivra méthodiquement de champagne rallongé de liqueur de framboise. Berthe s’en alla broyer encore plus les derniers restes de Luigi jusqu’à l’obtention d’une chair rose et onctueuse dont elle confectionna d’épaisses saucisses lisses et brillantes. La servante les mit à cuire mais se trouva bien empruntée lorsqu’il fallut composer un plat. Elle tira du seau aux cochons des pommes de terre du dîner de la veille qu’elle jeta dans un plat. Elle y incorpora les saucisses en tranches, ajouta persil frisé et ciboulette pour enfin noyer le tout sous une mayonnaise à son image, grasse et puante. La Vicomtesse, bien sûr, n’ignorant rien de la composition des saucisses, prétexta une quelconque indisposition pour ne pas avoir à y goûter. Le Vicomte, qui était un piètre palais, fut transporté par le repas de la grosse Berthe. Il ne tarissait plus d’éloge sur cette nouvelle saucisse inventée par sa femme. Il la jugea si délicieuse que, dès le lendemain il en fit breveter la recette sous le nom de “cervelas”.
L’ignominieuse saucisse a depuis connu bien des déboires. Elle ne contient par exemple plus de cervelle, un élément de sa composition vecteur d’humeurs animales souvent fatales à l’homme.
Mais le cervelas, envers et contre tout, n’a jamais cessé d’exister depuis ce sombre jour de mai 1868. Dès lors, des générations de jeunes Suisses ont dû régulièrement se sustenter de cette immondice, cette géhenne gastronomique qu’est en réalité la salade de patates au cervelas. Tant et tant de jeunes gens ont souffert, et souffrent encore, l’inique martyr culinaire trouvant son origine dans le meurtre infect commis par une sorcière obscène oubliée de tous nommée Marie-Vespasienne de Montaucul.
© Editions Lubric-à-Brac Productions / août 2020
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