Jacques-André Schinken est professeur d’histoire-géographie, il vote socialiste, il a 56 ans. Nadège Pochon est psychologue, elle vote Vert Libéral, elle a 55 ans. Ils ont deux enfants, Simon-Pierre, 21 ans, étudiant en droit, et Prune, 19 ans, artiste.
My Nadège is formidable! Laissez-moi vous expliquer pourquoi. Samedi dernier, j’étais au marché sur le stand du Parti socialiste. J’ai été interpellé par un homme – pourtant bien habillé – qui m’a accusé de faire partie de «cette élite bobo, déconnectée de la population et fonctionnant par cooptation dans un entre-soi petit-bourgeois, responsable de la montée des extrémismes, comme par exemple aux Etats-Unis avec l’élection de Donald Trump…» Mon Dieu, pourquoi tant de violence?
De retour à la maison pour le repas, je n’étais pas dans mon assiette. Nadège l’a tout de suite remarqué (évidement, elle est psychologue et a beaucoup d’intuition féminine). Je lui ai donc expliqué ce qui s’était passé et lui ai confié mon désarroi: comment peut-on me faire ce genre de reproche, à moi qui suis socialiste?
Simon-Pierre, qui mangeait son quinoa avec appétit, est intervenu: «Papa, pourquoi refuser d’admettre que tu fais partie de l’élite, comme toute la famille? Nous sommes des gens honnêtes, croyants et bienveillants avec notre prochain – pour autant qu’il soit chrétien. Alors que nous sommes encerclés par les démons islamistes et les relativistes, c’est un signe que Dieu nous a élus…»
Prune, qui entrait dans la cuisine, à peine vêtue d’un t‑shirt et d’un string, a réagi avec sa vivacité coutumière. «Espèce de lécheur de cul d’évangéliste, d’hypocrite. Je sais bien que tu regardes en cachette des films pornos gays SM sur ton smartphone en imaginant que Trump fouette tes petites fesses blanchâtres. Ton élite, tu peux te la rouler bien serrée et te ramoner l’anus avec!»
Nadège a giflé Prune qui a uriné de rage sur le nouveau carrelage de la cuisine. Simon-Pierre est parti dans sa chambre en pleurant et en hurlant qu’il allait lapider sa sœur, la brûler vive, la vendre à Daesh… Nadège est allée le consoler tandis que je donnais un peu d’argent à Prune qui en avait besoin pour se faire tatouer un symbole sataniste sur la vulve.
J’étais en train d’éponger le sol de la cuisine quand Nadège est revenue, étrangement calme. «Jacques-André, nous devons aider Simon-Pierre. La sexualité sera désormais bannie de cette maison. Nous allons louer un studio pour Prune, et toi, si tu ne peux pas faire autrement, tu pourras te masturber de temps en temps dans la cabane de jardin. Quant à l’élite, ton fils a raison, nous en faisons bel et bien partie, il faut l’admettre. Nous sommes abonnés à L’Hebdo ET au Temps, nous admirons Elisabeth Badinter et nous aurions voté pour Hilary Clinton…»
Comme toujours, ma Nadège a raison: notre famille pourrait effectivement servir de phare à bien des personnes prêtes à s’échouer idéologiquement sur les récifs acérés du populisme!
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