Un avenir radieux

Une nouvelle de Vincent-François Lésotre

Sébas­tien est content, il a peut-être enfin trou­vé du tra­vail. Un salaire, voi­là qui va chan­ger sa vie. Cela fait plus de quatre ans qu’il ne reçoit que les allo­ca­tions des ser­vices sociaux. Pour­tant, à une époque tout allait bien. Ingé­nieur en ges­tion de pro­duc­tion, il œuvrait au sein d’une entre­prise du BTP. Son rôle consis­tait à modé­li­ser les cadences qui étaient impo­sées aux ouvriers, de manière à ce qu’ils pro­duisent tou­jours plus effi­ca­ce­ment. Effi­ca­ce­ment non pas en matière de savoir-faire mais dans un sens éco­no­mique. Sébas­tien don­nait entière satis­fac­tion à son employeur. Il avait ache­té un appar­te­ment, une voi­ture digne d’un cadre moyen et il jouait régu­liè­re­ment au ten­nis avec le direc­teur finan­cier de l’entreprise.

Ses ennuis com­men­cèrent lorsque sa femme le quit­ta. Elle avait décou­vert une infi­dé­li­té et ne la lui par­don­na pas. En sémi­naire de tra­vail, le direc­teur finan­cier avait emme­né son jeune col­lègue dans une boîte de nuit où ils avaient abon­dam­ment bu. Deux pros­ti­tuées les avaient ensuite accom­pa­gnés à leur hôtel. Iri­na, qui avait les pom­mettes saillantes et des seins sili­co­nés, pra­ti­quait la fel­la­tion sans y mettre beau­coup de convic­tion, sans pré­ser­va­tif non plus. Sébas­tien, très ivre, plu­tôt que de jouir vomit sur la tête de la femme. Pour se ven­ger de ce qu’elle consi­dé­ra comme une humi­lia­tion – elle était très fière, elle dis­si­mu­la son string dans une poche de pan­ta­lon de Sébas­tien. Comme une bou­teille de cya­nure à la mer, escomp­tant que cet homme aux traits mous et por­tant une alliance devait confier le net­toyage de ses vête­ments à son épouse. Et effec­ti­ve­ment, le string attei­gnit sa des­ti­na­taire, c’est-à-dire qu’il tom­ba entre les mains de San­dra, qui n’eut aucune peine à faire avouer son mari infidèle.

Divorce, pen­sion ali­men­taire, dépres­sion, abus d’alcool, lais­ser-aller géné­ra­li­sé : Sébas­tien per­dit son emploi. Et n’en retrou­va pas, ce qui ne fit qu’accentuer sa déchéance. Il fut même pri­vé du droit d’accueillir de temps en temps ses enfants chez lui, ayant oublié de les ame­ner à l’école un matin où sa gueule de bois était par­ti­cu­liè­re­ment sévère. Pauvre, seul, Sébas­tien devint un mar­gi­nal. Il dor­mait dans un abri de l’Armée du Salut, man­geait ce qu’on lui offrait, fai­sait la manche. Il eut une rela­tion avec une pau­mée comme lui, Lucienne. Elle sen­tait la sueur aigre, n’avait plus toutes ses dents mais des mor­pions. Ce fut pour­tant elle qui lui sau­va la vie. Deux fois. La pre­mière alors qu’il avait som­bré dans un coma éthy­lique et qu’il aurait très bien pu mou­rir de froid, cou­ché à même la terre noire d’un parc public, à quelques mètres de cras­seux pis­soirs. Elle l’y traî­na, dans les pis­soirs, et lui tint chaud jusqu’au matin. Quelque temps après, second sau­ve­tage, elle l’emmena aux Alcoo­liques Ano­nymes où il eut une révé­la­tion. Il allait se res­sai­sir, chan­ger de vie. Contrai­re­ment à lui, sa com­pagne de misère replon­gea une fois de plus dans l’addiction, il la per­dit de vue.

C’est une autre femme qui l’accompagna sur le che­min de la sobrié­té et de la recon­quête sociale. Emi­lie, assis­tante den­taire, béné­vole à la soupe popu­laire, soli­taire. Sébas­tien s’était véri­ta­ble­ment repris en main ; propre et sobre, il ne lui man­quait plus qu’un loge­ment, un tra­vail et un peu d’affection. Emi­lie lui offrit le loge­ment et l’affection. Une petite annonce lui don­na l’opportunité de retrou­ver du tra­vail. « Cher­chons homme manuel, entre 25 et 40 ans, capable de tra­vailler de manière indé­pen­dante, titu­laire d’un per­mis de conduire, conscient des enjeux de l’époque. » C’est cette der­nière men­tion qui encou­ra­gea Sébas­tien à pos­tu­ler. Il ne cor­res­pon­dait pas plus que d’autres can­di­dats poten­tiels aux cri­tères deman­dés – peut-être même moins – mais concer­nant les enjeux, il en était par­ti­cu­liè­re­ment conscient. Il vou­lait à tout prix retrou­ver le che­min de la nor­ma­li­té. C’était ça, son enjeu prin­ci­pal. En étant pri­vé de son pou­voir d’achat, il avait tout per­du. En le retrou­vant, il rega­gne­rait tout.

«Votre mis­sion consis­te­ra à sou­der les portes don­nant accès aux immeubles dans les­quels sont aujourd’hui regrou­pées les per­sonnes âgées consi­dé­rées comme par­ti­cu­liè­re­ment à risque par rap­port au coro­na­vi­rus et qu’il serait contre­pro­duc­tif de décon­fi­ner. Ces per­sonnes rece­vront bien enten­du de la nour­ri­ture et un mini­mum de soins, mais je ne vous cache pas que leur espé­rance de vie ne dépas­se­ra pas quelques semaines. De toute manière, confi­nées ou pas, elles sont vouées à mou­rir… Si cela ne vous pose pas de pro­blème, vous com­men­ce­rez dès la semaine pro­chaine. J’attends votre réponse demain au plus tard.»

Sébas­tien a beau­coup hési­té. Heu­reu­se­ment, il a pu en par­ler avec Emi­lie, le soir même, pen­dant le repas. Pour fêter comme il se doit ce pre­mier entre­tien d’embauche, elle avait ache­té une pael­la royale pré-cui­si­née et une bou­teille de vin de Jumil­la. Sébas­tien ado­rait l’Espagne, où il avait pas­sé de for­mi­dables vacances avec San­dra et les enfants à l’époque du bon­heur. Ce repas lui sem­bla de bon augure.

- Que dois-je faire Emi­lie ? Accep­ter ce job?

- Oui, sans hési­ta­tion. C’est l’occasion ines­pé­rée d’un nou­veau départ, d’une nou­velle vie.

- Mais je ne sais pas souder…

- Tu appren­dras vite, mon ché­ri, j’en suis certaine.

Sébas­tien mor­dit avec appé­tit dans une cre­vette et leva son verre à l’avenir, qu’il voyait radieux.                  

© Edi­tions Lubric-à-Brac Pro­duc­tion / avril 2020

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