A moi de choisir ceux qui doivent mourir | 10

Ce soir-là, j’ai pen­sé au sui­cide, je l’avoue. Plus per­sonne n’attendait quoi que ce soit de moi, je me sen­tais libre, y com­pris de mou­rir. Mais j’ai trou­vé ça sau­gre­nu. Sans doute n’en avais-je pas fini avec le monde et mes sem­blables. Mon sen­ti­ment de liber­té était exa­gé­ré, comme une ivresse sou­daine et pas­sa­gère. Conti­nuer de lire A moi de choi­sir ceux qui doivent mou­rir | 10

A moi de choisir ceux qui doivent mourir | 9

Cela fai­sait plus de vingt-cinq ans qu’on se fré­quen­tait. Est-ce que je les connais­sais vrai­ment ? J’avais le sen­ti­ment que pas une seule fois nous n’avions été sin­cères les uns envers les autres. Nous avions tou­jours refu­sé de nous mon­trer nos confu­sions res­pec­tives. Même ivres, nous avions tou­jours affir­mé des choses, jamais dou­té ensemble, donc jamais pen­sé ensemble. Conti­nuer de lire A moi de choi­sir ceux qui doivent mou­rir | 9

A moi de choisir ceux qui doivent mourir | 8

Phi­lippe insis­tait, dans ses mails et ses SMS, pour qu’on se réunisse. En mémoire d’Alain. Ce d’autant que Jean-Claude venait à son tour d’être hos­pi­ta­li­sé. Les choses tour­naient vrai­ment mal. Pas uni­que­ment pour notre groupe d’amis, pour le monde entier. Il y avait offi­ciel­le­ment un mil­lion cinq cent mille per­sonnes conta­mi­nées et cent mille morts. Conti­nuer de lire A moi de choi­sir ceux qui doivent mou­rir | 8

A moi de choisir ceux qui doivent mourir | 7

Après avoir mis le feu à la voi­ture du doc­teur, afin de détruire d’éventuelles traces, je suis ren­tré chez moi. Pas­ser les contrôles poli­ciers n’a pas été un pro­blème. Il fal­lait sim­ple­ment avoir avec soi une décla­ra­tion, qu’il suf­fi­sait d’imprimer et de rem­plir, pré­ci­sant le motif du dépla­ce­ment. J’y avais indi­qué que j’allais cher­cher les effets per­son­nels de Cathe­rine à l’hôpital. Conti­nuer de lire A moi de choi­sir ceux qui doivent mou­rir | 7

A moi de choisir ceux qui doivent mourir | 6

J’ai eu le droit de venir à la morgue de l’hôpital, pour voir Cathe­rine dans son cer­cueil, der­rière une vitre. Ils m’ont fait mettre des habits de pro­tec­tion, un masque, des lunettes. Ils m’ont emme­né par des cou­loirs, des esca­liers, pour que j’évite d’être en contact avec la mala­die. Mais entre deux portes, j’ai vu. Des lits dans les cou­loirs, des mate­las au sol, les malades entas­sés. Conti­nuer de lire A moi de choi­sir ceux qui doivent mou­rir | 6

A moi de choisir ceux qui doivent mourir | 5

J’ai char­gé la voi­sine sur mon épaule – elle n’était pas très lourde, avait la mai­greur sèche des gens méchants. Elle gémis­sait tou­jours mais n’était pas consciente. Sur son front, un gros héma­tome se déve­lop­pait. Arri­vé près de la ran­gée de fleurs et de son muret, j’ai déli­ca­te­ment fait glis­ser madame Delombre à terre, puis, sai­sis­sant sa tête, je l’ai lais­sée retom­ber avec force sur le muret. Conti­nuer de lire A moi de choi­sir ceux qui doivent mou­rir | 5

A moi de choisir ceux qui doivent mourir | 4

Le chat de la voi­sine n’arrêtait de venir emmer­der les nôtres, pas­sant sous la haie de thuyas qui sépare nos deux mai­sons. C’était une chatte. Les nôtres, des matous cas­trés. Dès qu’on enten­dait des miau­le­ments agres­sifs dans le jar­din, on savait que la chatte fou­tait le bor­del. Elle se met­tait devant la cha­tière pour empê­cher les autres de sor­tir, les souf­flait dès qu’elle les croi­sait. Une chieuse. Conti­nuer de lire A moi de choi­sir ceux qui doivent mou­rir | 4

A moi de choisir ceux qui doivent mourir | 3

L’ambiance au super mar­ché était incroyable. Des rayons vides : plus de pro­duits conge­lés, plus de pâtes, plus de boîtes de ravio­lis, plus de PQ non plus. J’ai pris ce que j’ai pu. Sans oublier les boîtes pour les chats. Cathe­rine et moi vivions au cœur d’une zone rési­den­tielle, dans une de ces petites villes qui à l’origine étaient des bourgs de cam­pagne et qui sont deve­nues des cités dor­toirs pour les classes moyennes. Conti­nuer de lire A moi de choi­sir ceux qui doivent mou­rir | 3

A moi de choisir ceux qui doivent mourir | 2

Au bureau, on avait une sta­giaire, Andrea. Ma femme me deman­dait régu­liè­re­ment si je la trou­vais jolie, avec une légère pointe de jalou­sie. Je répon­dais sys­té­ma­ti­que­ment « non ». Depuis l’é­pi­dé­mie, on tra­vaillait essen­tiel­le­ment  sur de la com­mu­ni­ca­tion de crise. Conti­nuer de lire A moi de choi­sir ceux qui doivent mou­rir | 2

A moi de choisir ceux qui doivent mourir | 1

Je n’ai pas pris ça au sérieux, au début. Encore un truc de ces cré­tins de Chi­nois, de ces bouf­feurs de chauve-sou­ris, de pan­go­lins, de pines de chiens, j’ai pen­sé. Dans le café où je prends l’apéro tous les soirs avec les copains, on rigo­lait, on trin­quait : « A la san­té du coro­na­vi­rus ! ». Un virus avec un nom de bière, ça ne fait pas trop sérieux. Conti­nuer de lire A moi de choi­sir ceux qui doivent mou­rir | 1