A moi de choisir ceux qui doivent mourir | 13

Chapitre 13

La télé­vi­sion avait dit vrai : le confi­ne­ment était ter­mi­né, les gens repre­naient leurs vieilles habi­tudes, ceux qui en avaient retrou­vaient le che­min de leurs rési­dences secon­daires. C’était catas­tro­phique. Je bat­tis en retraite, un peu pani­qué. Et tou­jours aucune appa­ri­tion d’Alain, je me deman­dai ce qui lui était arrivé.

De retour dans mon refuge, je fer­mai les volets et m’assis sur le lit. Il fal­lait que je réflé­chisse à ce que je devais faire. Ces der­nières semaines, pas une fois je n’avais pen­sé qu’il fau­drait peut-être un jour que je reparte. Pour être sin­cère, j’imaginais doré­na­vant ma vie ici, entre les visites d’Alain et les longues marches dans la forêt. Les pré­sences qui l’habitaient m’intriguaient au plus haut point. Je peux même affir­mer que per­sonne, jamais, ne m’avait autant inté­res­sé. J’étais curieux d’en savoir plus sur elles et leurs étranges rites. Il y avait là quelque chose de très impor­tant pour moi, pour la suite de mon exis­tence, j’en étais per­sua­dé. Je ne sais pas com­bien de temps je res­tais ain­si. Lorsque je me levai et m’approchai de la fenêtre de la chambre, j’aperçu la lueur de la lune à tra­vers l’ouverture en forme de cœur du volet. Alain n’était tou­jours pas appa­ru. Je sor­tis et fus immé­dia­te­ment sur­pris par le chan­ge­ment. Sur les pentes de la mon­tagne, de nom­breuses petites lumières brillaient. Elles pro­ve­naient des dif­fé­rentes habi­ta­tions, inoc­cu­pées jusqu’alors et désor­mais à nou­veau habitées.

Il allait sans doute fal­loir que je parte d’ici, et dans pas long­temps. Cela me déses­pé­rait ; j’eus, pour la pre­mière fois depuis long­temps, envie de boire de l’alcool. J’en trou­vai dans une des armoires de la cui­sine. Une bou­teille d’eau de vie de prune. Je m’en ser­vis un petit verre. Puis un autre.

Ce sont des bruits de voix qui m’ont réveillé. Des gens tour­naient autour du cha­let, dehors il fai­sait jour. J’avais mal à la tête, la bou­teille d’eau de vie était à moi­tié vide. Je jetai un coup d’œil par les ouver­tures des volets. Je finis par aper­ce­voir les deux gen­darmes qui exa­mi­naient l’extérieur. « C’est bizarre, tout semble fer­mé, per­sonne n’est entré par effrac­tion, mais il y a de nom­breuses traces autour du cha­let qui semblent indi­quer qu’il a récem­ment été uti­li­sé. Qu’est-ce qu’on fait ? » Sans attendre la réponse, je m’éloignai de la fenêtre. A l’arrière du cha­let, il y avait une petite porte. Je l’ouvris avec mille pré­cau­tions. Les gen­darmes étaient tou­jours devant l’entrée. En ram­pant, je m’éloignai le plus pos­sible, avant de prendre le risque de me redres­ser une fois à l’abri d’une petite bosse de ter­rain. Cour­bé en deux, je cou­rus le plus silen­cieu­se­ment pos­sible en direc­tion de la forêt. J’arrivai à la lisière et m’apprêtai à dis­pa­raître dans les bois lorsque j’entendis des cris.

- Halte ! Ne bou­gez plus !

- Reve­nez immé­dia­te­ment ici !

Mal­gré le stress et la gueule de bois, je remar­quai la contra­dic­tion dans les pro­pos des deux gen­darmes. L’un et l’autre étant plu­tôt empâ­tés, il y avait peu de chance qu’ils me rat­trapent. Je m’enfonçai dans la forêt. Je ne m’arrêtai qu’après une heure de cra­pa­hu­tage. Essouf­flé, suant, les bras et le visage grif­fés par les ronces et les branches. Je ne savais pas pré­ci­sé­ment où j’étais. Assis sur un tronc mous­su, je fis le point de la situa­tion. J’étais par­ti sans pro­vi­sion, sans bous­sole, sans rien d’autre que les habits que je por­tai lorsque les gen­darmes m’avaient réveillé de ma mal­en­con­treuse cuite à la vieille prune. J’avais envi­ron six heures de jour devant moi avant que tombe la nuit. Où aller ?

Je déci­dai de ne pas agir dans le stress, comme je l’avais fait lorsque les gen­darmes m’avaient sur­pris. Je n’étais mal­heu­reu­se­ment pas équi­pé pour sur­vivre en autar­cie dans les bois, n’ayant même pas de quoi faire du feu. Il n’y a que l’eau qui ne me man­quait pas, des petits ruis­seaux cou­laient ici et là. Il fal­lait abso­lu­ment que je retourne vers des habi­ta­tions pour voler des habits, de la nour­ri­ture, des allu­mettes et quelques outils. Ensuite, je m’enfoncerai dans les pro­fon­deurs des bois pour y mener une exis­tence d’ermite. J’avais hâte !

Je redes­cen­dis donc, me disant que je fini­rai bien par tom­ber sur une mai­son iso­lée. J’avais mar­ché envi­ron deux heures lorsque j’entendis des bruits. Les gen­darmes m’avaient-ils retrou­vé ? Non, il s’agissait de ran­don­neurs. Deux hommes et deux femmes, dans la qua­ran­taine. Ils sui­vaient un petit sen­tier que je n’avais pas vu et qui zig­za­guait entre les arbres. La mon­tagne était bien plus tran­quille pen­dant le confi­ne­ment… Je me cachai der­rière un gros arbre, atten­dis que les ran­don­neurs soient pas­sés et emprun­tai le sen­tier. Au bout d’environ deux kilo­mètres, j’arrivai sur un par­king. Des voi­tures s’y trou­vaient – sans doute celles des ran­don­neurs, ain­si qu’une jeep de la gendarmerie.

Alors que je vou­lais rebrous­ser che­min, j’entendis crier der­rière moi : « Ne bou­gez plus ! Levez les mains ! Cou­chez-vous face contre terre ! » Je par­tis en cou­rant en direc­tion du par­king, sans me retour­ner, sau­tai par-des­sus une petite bar­rière en bois, mais pas assez haut, m’étalai dans un par­terre d’orties. Aus­si­tôt après, je sen­tis un gen­darme s’agenouiller sur mon dos et sur ma tête, se sai­sir des me mains et les menot­ter. Je pleu­rai. Pas de dou­leur mais de déses­poir. J’aurais vou­lu mou­rir. C’était fini.

A suivre

Demain, l’é­pi­logue

© Lubric-à-Brac Pro­duc­tion / avril 2020

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