Chapitre 6
Il n’y a pas que la mort de ma voisine qui a été éclipsée à cette époque. Celle de Catherine aussi. J’ai prévenu sa sœur, pour qu’elle avertisse ses parents. J’ai hésité à en parler aux filles. Je l’ai finalement fait : ça a été horrible, elles pleuraient et j’ai été incapable de les consoler.
C’est le docteur qui m’avait appelé.
- Bonjour Pierre…
- Bonjour Paul. Comment va Catherine ? Peut-elle bientôt revenir à la maison ? Cela fait dix jours qu’elle est aux soins intensifs, je pense qu’elle doit être guérie maintenant…
- Pierre… Je suis désolé…
- Mais non, ne soyez pas désolé. Elle va rentrer à la maison et tout ira bien…
- Catherine est morte cette nuit…
- …
- Elle allait mieux, j’étais content des résultats, nous allions pouvoir la désintuber…
- Elle était intubée ?
- Oui, et en coma artificiel… Les choses s’amélioraient pour elle… Son cœur a lâché.
Son cœur dont je n’avais pas pris soin. Dont cette crapule de docteur, lui non plus, n’avait pas pris soins. Catherine était innocente, elle n’avait jamais fait de mal à personne, au contraire, toujours charitable, même avec moi qui avait cessé de l’aimer. Elle était belle et innocente, le virus n’aurait pas dû l’attaquer. S’il lui fallait un coupable, j’étais là. Surtout, tous les autres étaient là, tous les autres coupables, à commencer par ce maudit docteur.
- Pourquoi ne l’avez-vous pas sauvée, si vous l’aimiez…
- Pierre… J’ai fait tout mon possible… C’était une femme formidable, oui…
- Et alors ? Tout ce qui vous intéressait, c’était de la baiser !
- Mais non ! Pierre, vous perdez la tête… Catherine et moi n’avons jamais…
- Ordure !
- Par pitié, Pierre, calmez-vous. Je comprends votre désarroi…
Je me suis calmé, en apparence. J’ai eu le droit de venir à la morgue de l’hôpital, pour voir Catherine dans son cercueil, derrière une vitre. Ils m’ont fait mettre des habits de protection, un masque, des lunettes. Ils m’ont emmené par des escaliers de service, pour que j’évite d’être en contact avec la maladie. Mais entre deux portes, j’ai vu. Des lits dans les couloirs, des matelas au sol, les malades entassés. J’ai entendu les toux, les plaintes, les pleurs, les cris d’angoisse. J’ai senti les infirmières et les médecins à bout de forces. Dans une cour, derrière l’hôpital, des camions militaires attendaient de charger les cercueils, tous les jours plus nombreux, pour les amener au cimetière, à l’incinérateur, au petit matin, à l’heure où d’habitude d’autres camions amènent les bêtes – vaches, cochons, agneaux – à l’abattoir. Au petit matin, lorsqu’il fait encore nuit, pour que personne ne remarque ces convois de mort, pour ne pas déprimer les gens, pour ne pas leur couper l’appétit, pour que les morts du coronavirus restent le plus possible abstraits pour ceux, de moins en moins nombreux, qui pouvaient encore croire que le pic de l’épidémie était atteint, qu’un vaccin était en cour d’élaboration, qu’un médicament miracle serait à disposition demain. Et qu’en attendant, il était recommandé de faire au mieux, mais si possible d’aller travailler, de consommer, pour que l’économie ne s’arrête pas. « Nous ferons le bilan une fois que l’épidémie sera vaincue, disaient les gouvernants. Nous examinerons si des erreurs ont été commises, et qui en est responsable. Nous en tirerons les conséquences. »
Je l’ai vue, sans pouvoir la toucher ni m’approcher d’elle. Catherine couchée dans son cercueil. Et j’ai compris que je ne pourrais pas attendre la fin de l’épidémie pour tirer les conséquences de sa mort. Pour chercher les responsables. Pour les trouver et les punir. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de tuer le docteur. Désormais, le temps des atermoiements était révolu. Tout devait maintenant se payer cash. Si le virus frappait au hasard, sans plan préconçu, j’allais, moi, éliminer celles et ceux qui méritaient de l’être. Je serai tout à la fois juge et bourreau, il n’y aurait plus de faiblesses de ma part, plus de pitié, plus de lâcheté.
Le cercueil de Catherine a été emmené, je suis rentré chez moi. Je n’ai pas pleuré, pas bu d’alcool non plus ni fumé de cigarette. Il fallait désormais que je conserve toute ma lucidité. Un plan s’est mis en place dans ma tête, simple et efficace.
Tuer le docteur, donc.
J’étais en possession d’un pistolet. Un Beretta PX4 Storm, 9mm. Un client m’avait emmené dans un stand de tir et ça m’avait plu. Je m’y étais inscrit, avait fait les démarches pour pouvoir acheter une arme. Au bout de six mois, je m’étais lassé, le pistolet était dans une boîte. Je l’en ai ressorti, l’ai examiné, nettoyé. Il y avait aussi de la munition : le chargeur était plein, plus deux boîtes de cinquante cartouches.
J’aurai pu l’abattre dans la rue lorsqu’il est sorti de son cabinet mais j’avais établi un autre scénario pour son exécution. Quand il a ouvert sa voiture, j’étais derrière lui, arme au poing. Ça l’a convaincu de m’obéir, il a pris le volant et je me suis assis à l’arrière. Il paniquait, essayait de m’expliquer que je faisais une grave erreur, que c’était un coup de folie. Qu’il n’avait jamais voulu coucher avec Catherine. Que c’était elle qui avait insisté. Qu’ils ne l’avaient fait qu’une seule fois. Une fois, ou deux, ou cent, je m’en fichais. Ce n’est pas ça que je lui reprochais. Catherine avait bien le droit de coucher avec qui elle voulait. Elle avait même le droit d’avoir aimé cet abruti. Je n’avais pas à juger ses choix, pas à la juger, elle. Qui étais-je pour le faire ? Mes propres choix n’avaient pas toujours été judicieux, c’est le moins qu’on puisse dire. Même si je n’ai jamais choisi grand-chose, me laissant la plupart du temps porter par le courant, laissant à d’autres l’harassante tâche de tenir la barre.
Là, je savais quoi faire. Je guidais le docteur, qui n’arrêtait pas de parler, de questionner, de s’excuser, d’évoquer sa femme, ses enfants, ses patients. Il m’a même proposé de l’argent. Je ne répondais rien, n’appartenant pas à cette catégorie de gens soucieux de convaincre les autres de quoi que ce soit. Je voulais le tuer, c’est tout. Pas besoin de lui expliquer le pourquoi et le comment. Nous sommes arrivés derrière le stade, il était 19h30, il n’y avait personne ; les matchs de football supprimés, plus aucun supporter ne venait ici. Dans la voiture, j’ai emprisonné la tête du docteur dans un sac en plastique. Il a tenté de se débattre, de se libérer, mais je tenais son cou dans le creux de mon bras, depuis le siège arrière, maintenant le sac de l’autre main. Il est mort étouffé, comme Catherine. Ça a duré quelques minutes. Il s’est bien senti partir.
A suivre
© Lubric-à-Brac Production / avril 2020
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