Pour celles et ceux qui ne trouvent pas la pandémie actuelle de COVID-19 suffisamment anxiogène, les Editions Lubric-à-Brac Productions proposent une série de textes glaçants. Le premier est un roman écrit par Pierre Ronpipal. Il s’agit bien sûr d’un pseudonyme, nous n’acceptons pas de textes signés du vrai nom des auteurs, ceci afin de leur éviter toute tentation narcissique. Tout ce que l’on peut dire de celui-ci, c’est qu’il s’agit d’un écrivain francophone s’aventurant pour la première fois du côté du pulp. Un coup d’essai diablement réussi, avec ce récit noir et désespérant.
Chapitre 1
Je n’ai pas pris ça au sérieux, au début. Encore un truc de ces crétins de Chinois, de ces bouffeurs de chauve-souris, de pangolins, de pines de chiens, j’ai pensé. Dans le café où je prends l’apéro tous les soirs avec les copains, on rigolait, on trinquait : « A la santé du coronavirus ! ». Un virus avec un nom de bière, ça ne fait pas trop sérieux. Surtout quand il s’agit d’une bière de merde. Pour deux Coronas bues, le patron offrait une Mort subite. Trop drôle. Alain aussi nous faisait marrer : « C’est plus facile à dire que Heinekenvirus ou Stellartoisvirus ou Kronenbourgvirus… »
Plus on enquillait les ballons de blanc, plus on se marrait. « Les cons, ils ont la trouille. Ce truc, c’est pas pire qu’une grippe. C’est moins grave même. Doris, remet une tournée ! C’est les médias qui foutent la merde, qui veulent qu’on panique pour vendre leurs feuilles de choux…» Raconté comme ça, on passe pour des beaufs. Mais au début, pas mal de gens tenaient le même discours, même dans les milieux intellos. « C’est moins pire que la grippe et tout le monde s’inquiète… » « C’est le besoin de se faire peur… » « C’est un coup monté par les fabricants de vaccins… » « On panique pour un rhume alors que les Syriens se ramassent des bombes sur la gueule… » Sur les réseaux sociaux, les spécialistes de tout et de rien s’en donnaient à cœur joie.
Oui, c’est facile de nous critiquer, maintenant qu’on sait. Avant, quand on buvait l’apéro, il y avait à peine 100 000 personnes contaminées sur toute la planète, 3500 morts.
« Lavez-vous les mains régulièrement », «Eternuez dans votre coude », « Ne vous serrez pas les mains », « Ne vous faites pas la bise », « Mettez vos mouchoirs dans des poubelles fermées », « En cas de fièvre et de toux, restez à la maison », « Gardez vos distances »… Les recommandations étaient affichées partout. Mais, franchement, on n’y comprenait pas grand-chose. Est-ce que l’épidémie était sérieuse, dangereuse ? Les gens continuaient de se serrer comme des sardines dans les transports publics. Dans les supermarchés aussi. Quelques entreprises conseillaient le télétravail, mais la plupart persistait à faire venir leurs employés au bureau, à l’atelier, sur les chantiers.
Au café aussi, les gens s’agglutinaient toujours autant. Comme nous. Moi et les copains. Philippe avait vu sur internet que l’alcool protégeait du virus. Ce qui semblait logique, puisque l’alcool désinfecte. Il y en a dans les liquides pour les mains. Ce liquide qu’on aurait dû utiliser, comme dans les hôpitaux. Sauf qu’il n’y en avait plus. Ni dans les supermarchés ni dans les pharmacies. Comme les masques protecteurs. Il paraît que les stocks étaient épuisés.
Nous, on voulait vraiment croire que l’alcool allait nous protéger, alors on buvait deux fois plus que d’habitude. Délaissant le vin blanc, on se faisait les apéros au Pastis. En se tapant dans le dos et sur le ventre. En se faisant des bises. « Allez, tiens, une bise. Avec tout ce que j’ai bu, le coronavirus est définitivement noyé. Doris, vient ici que je te roule une pelle. Entre le tabac et l’alcool, je suis immunisé… » Et on riait. Et Doris aussi. Elle nous a roulé des pelles à tous les six. A Michel plus longtemps. Il lui a touché les fesses, elle s’est laissé faire. Ils couchaient ensemble de temps en temps. Doris avait cinquante-cinq ans, une voix de fumeuse mais toujours des belles jambes et des seins qu’elle montrait volontiers dans des décolletés excitants. La femme de Michel travaillait dans un bureau d’avocats. La dernière fois que j’ai eu de ses nouvelles, elle était dans un couloir, aux soins intensif, en train d’attendre qu’un respirateur artificielle se libère.
« Et si on allait manger au Napoli ? En solidarité avec les Italiens », avait proposé Etienne. Il adorait la bouffe. En Italie, les cas se multipliaient. Les hôpitaux étaient débordés. Il y avait des morts, encore des morts. Toute la Lombardie avait été mise en quarantaine. « Evidemment, chez les Italiens, ça fonctionne moins bien que chez nous », pensions-nous.
« Allons plutôt manger au Chinois », s’était marré Philippe. On avait tous rigolé, repris une tournée de Pastis. Finalement, on était allé manger un tartare de bœuf. Vin rouge, cognac, le virus n’aurait pas dû survivre à cette cuite. Sauf que de nous six, je suis aujourd’hui le seul survivant. Je ne me souviens pas de tout. Je m’étais réveillé dans mon lit, tout habillé. Un peu de coke à l’entrée d’une narine. Dans l’historique de mes appels, le numéro de mon dealer africain et celui d’une prostituée chez qui je vais parfois, une Moldave. Ma femme de ménage était Portugaise, mon plombier Macédonien, mon physiothérapeute Espagnol… J’aimais cette diversité, je votais socialiste. Où sont-ils tous maintenant ? Sont-ils rentrés dans leur pays pour s’y confiner, mourir ? Mon dealer a‑t-il été arrêté ? Il y a eu des émeutes dans les prisons, des morts.
Après deux semaines de pandémie, le ministre de l’économie s’était voulu rassurant : « Pour la population qui n’est pas à risque, on guérit du coronavirus en 4 à 5 jours en prenant du Dafalgan, comme avec n’importe quelle grippe. Et on n’attrape pas le coronavirus en allant manger au restaurant avec sa femme ». L’économie était sa religion, comme d’autres ont choisi le catholicisme, l’islam ou le bouddhisme, le communisme, les droits de l’homme, la Nation, la culture, le sexe, l’art. Il pensait que ça le protégerait. Il est mort, malgré les soins pour VIP auxquels il a eu droit. Moi, j’ai longtemps cru à l’amour. De six à seize ans, j’ai été persuadé qu’une femme m’était destinée. Je l’imaginais blonde, avec de longs cheveux ondulés.
Malgré l’optimisme forcé du ministre de l’économie, le gouvernement a fini par édicter des mesures pour lutter contre le virus. Les écoles ont été fermées, les lieux de spectacle aussi, et les boîtes de nuit, les piscines, les salles de sport, les restaurants, les bars… En gros, tout ce qu’on pouvait encore faire, c’était travailler et dépenser l’argent ainsi gagné dans les magasins.
Mon boulot, c’est la communication. C’était. J’avais une petite agence, des petits clients. Des PME, principalement, des sociétés locales, des producteurs de bouffe. Ma scolarité avait été un échec, je n’avais jamais imaginé qu’une quelconque activité professionnelle puisse être épanouissante. Je bossais avec ma femme, Catherine. Je fonçais dans tous les sens, à l’instinct, elle, elle réfléchissait. La boîte tournait pas mal. Ma vie aussi. Banale mais confortable. Jusqu’à ce coronavirus qui a tout fait foirer.
A suivre
© Lubric-à-Brac Production / avril 2020
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