A moi de choisir ceux qui doivent mourir | 2

Chapitre 2

Au bureau, on avait une sta­giaire, Andrea. Ma femme me deman­dait régu­liè­re­ment si je la trou­vais jolie, avec une légère pointe de jalou­sie dans la voix. Je répon­dais sys­té­ma­ti­que­ment « non ». Depuis l’é­pi­dé­mie, on tra­vaillait essen­tiel­le­ment  sur de la com­mu­ni­ca­tion de crise, on était débor­dés de tra­vail. Tout le monde vou­lait expli­quer que les fer­me­tures étaient pro­vi­soires, que des mar­chan­dises pou­vaient être envoyées par la poste. Que les petits tra­vaux qui ne néces­si­taient pas le dépla­ce­ment de plus d’un  ouvrier étaient pos­sibles. Un coif­feur vou­lait faire savoir à ses clientes qu’il était prêt à se rendre à domi­cile, la pro­prié­taire d’une ongle­rie aus­si. Mais comme on ne savait pas trop si c’était tou­jours auto­ri­sé, il fal­lait être pru­dent. Bref, je bos­sais dur, sur­tout que depuis quatre jours, Cathe­rine ne se sen­tait pas bien et res­tait à la maison.

Quand j’y repense, Cathe­rine est la plus belle per­sonne qui ait tra­ver­sé ma vie. Je ne parle pas du phy­sique, même si elle est res­tée bien fou­tue jusqu’au bout. Enfin, je crois : il y a bien long­temps que je ne l’avais pas vue nue. On fai­sait chambre à part, cha­cun sa salle de bain. Elle était beau­coup plus intel­li­gente que moi. Dans sa tête et dans son cœur. Je ne sais pas quand les choses ont com­men­cé à  mal tour­né entre nous. Je ne lui ai sans doute pas assez dit que je l’aimais, qu’elle était impor­tante dans ma vie. Je ne lui ai pas assez mon­tré à quel point je la dési­rais – pour­tant, je la dési­rais autant que les autres femmes avec qui il m’arrivait de faire l’amour. Et elle, elle a regar­dé nos corps et nos âmes s’éloigner sans rien faire, comme rési­gnée. Ce qui est cer­tain, c’est que sans elle, je n’ai jamais rien fait de bon. Ça c’est confir­mé par la suite.

J’ai fini par trou­ver Andrea bien jolie. Nous étions les deux seuls au bureau, à répondre à toutes les demandes, à conce­voir de la com­mu­ni­ca­tion de crise. Je me suis aper­çu qu’elle était vive d’esprit, ce qui la ren­due atti­rante. Pour­tant, elle était brune. Elle tra­vaillait bien, beau­coup. Nous avons bai­sé un soir, vers 19 heures. Andrea avait trente ans de moins que moi, elle embras­sait drô­le­ment bien et sa chatte était épilée.

- Attend, je vais mettre un préservatif…

- Non, je te fais confiance… Viens, j’ai envie de toi.

Qu’est-ce que les femmes trou­vaient atti­rant chez moi ? Phy­si­que­ment, je ne suis pas trop mal, mal­gré mes 59 ans, mais elles doivent bien savoir que sous mon cos­tume gris perle à rayures blanches la chair est fri­pée, les muscles flasques, la peau tache­tée. Et que je bande mou quand je ne prends pas de Via­gra. Je ne pense pas être par­ti­cu­liè­re­ment ras­su­rant non plus. Mais c’est peut-être ça qui les attire : mon côté un peu per­du, fra­gile, mes yeux tou­jours légè­re­ment humides.

Andrea a pris mon sexe dans sa bouche et j’ai été sub­mer­gé par un sen­ti­ment de recon­nais­sance. Ému. Elle m’a sucé, lon­gue­ment, avec un plai­sir mani­feste me sem­blait-il, comme si mon pénis était la chose la plus déli­cieuse qu’elle ait jamais mise dans sa bouche. Je lui ai ren­du la pareille, bien sûr, ai léché sa vulve, me suis aven­tu­ré entre ses fesses, elle a sem­blé aimer, me suis concen­tré au final sur son cli­to­ris, deux doigts dans le conduit vagi­nal, dou­ce­ment, adap­tant mon rythme à ce que je res­sen­tais de ses nerfs, de leurs vibra­tions, comme s’ils me par­laient, m’indiquaient le bon tem­po. Il y a des choses que je fais bien : le café, ima­gi­ner des slo­gans effi­caces, choi­sir les vins sur une carte de res­tau­rant et le cun­ni­lin­gus. Ensuite, elle est mon­tée sur moi, s’est faite jouir en me che­vau­chant, a eu la patience d’attendre que je jouisse.

Trente minutes plus tard, le gou­ver­ne­ment annon­çait la fer­me­ture de tous les com­merces, sauf de ceux qui ven­daient de l’alimentation et les phar­ma­cies, que la plu­part des chan­tiers devaient être mis à l’arrêt, que des usines allaient ces­ser leurs acti­vi­tés, que la cir­cu­la­tion des trains serait réduite. Et il était deman­dé à celles et ceux qui pou­vaient le faire de res­ter chez eux. J’ai pris quelques dos­siers au bureau et rame­né Andréa chez elle. Elle avait l’air triste, pré­oc­cu­pée. Je lui ai deman­dé de me don­ner régu­liè­re­ment de ses nou­velles, par mail. Je ne l’ai jamais revue.

De retour à la mai­son, j’ai fait l’état de nos réserves. Pour l’alcool, pas de pro­blème, ma cave était bien gar­nie. Pour la bouffe, en revanche, nous n’avions pas grand-chose. J’ai frap­pé à la porte de la chambre de Cathe­rine. Elle a dit qu’elle vou­lait dor­mir, qu’elle venait de prendre un som­ni­fère. J’ai appe­lé Alain, pour savoir si je pou­vais pas­ser chez lui boire un coup.

On s’est retrou­vés, tous les copains, à poche­tron­ner et à sau­cis­son­ner. C’était gai. On se sen­tait tous plus ou moins en vacances. Phi­lippe, comé­dien, n’avait plus de tra­vail, ce qui ne chan­geait pas trop ses habi­tudes. Alain, prof de fran­çais, devait vague­ment suivre ses élèves par mail et leur pro­po­ser des exer­cices, ce qui n’était pas trop contrai­gnant. Jean-Claude avait dû fer­mer sa bou­tique de meubles et il était inquiet pour le loyer de celle-ci, mais il avait pris des anxio­ly­tiques et, mélan­gés à la vod­ka, ils lui fai­saient un effet très eupho­ri­sant. Il nous a lon­gue­ment par­lé de son pro­jet consis­tant à s’installer au nord de la Thaï­lande pour y pas­ser une retraite heu­reuse, entou­ré de katoï, à fumer un peu d’opium. Les médi­ca­ments et l’alcool le dés­in­hi­baient tota­le­ment, il nous a avoué sa bisexua­li­té, être de plus en plus exci­té par les pénis et de moins en moins par les vulves. Ça nous a un peu gênés, mais pas trop, sauf Michel, qui tra­vaillait comme conseiller d’un poli­ti­cien et qui a tou­jours eu des réac­tions un peu homo­phobes.  Etienne, ban­quier et très saoul, a énu­mé­ré les pro­blèmes éco­no­miques qui se pro­fi­laient et qui, d’après lui, seraient beau­coup plus com­pli­qués à résoudre que celui de la pan­dé­mie. Mais ce soir-là, rien ne pou­vait nous mettre le moral en berne. On était bien ensemble et quand Michel est par­ti en cla­quant la porte parce que Jean-Pierre lui avait mis la main au paquet, on a tous écla­té de rire et on a débou­ché une autre bouteille.

C’est le len­de­main que tout a com­men­cé à merder.

A suivre

© Lubric-à-Brac Pro­duc­tion / avril 2020

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