Épilogue
Ça fait trois mois que je suis là, je crois. Peut-être plus. Ou moins. La cellule est blanche, les vitres de la fenêtre sont incassables, les gros barreaux espacés de 10 centimètres. Un bloc de béton et un matelas mousse comme lit, un WC et un lavabo en inox, une table fixée au mur et au sol. Ils m’ont retiré la chaise après que je l’ai jetée contre la porte pour protester. Selon eux, je présente un trouble de la personnalité. Plusieurs experts m’ont examiné, il paraît que mon absence totale de regrets est le signe d’un dérèglement mental. Alors que je suis simplement sincère. J’ai tué la voisine, oui, qui pensait tout mieux savoir que quiconque et voulait imposer son mode de vie. J’ai tué le docteur, celui qui n’a pas assez aimé Catherine pour la sauver du virus. J’ai tué mes amis parce qu’ils étaient déjà à moitié morts et m’entraînaient avec eux dans la tombe. Pour le joggeur, j’avoue, ça a été un mouvement de colère. Mais même ça, je ne le regrette pas. Quant à l’incendie du quartier résidentiel, il n’a fait aucune victime, uniquement des dégâts matériels, et c’est une bonne chose que ce tas de merde ait brûlé. Non, je ne regrette rien. Si, une chose : ne pas avoir fait tout ça plus tôt. Et qu’on m’ait enfermé dans cette unité de psychiatrie pénitentiaire. J’étais bien mieux à la montagne. Ils m’ont rasé la barbe, coupé les cheveux très courts, lavé à grandes eaux, habillé d’une combinaison blanche.
Je suis sincère mais ils veulent me faire passer pour fou. J’ai épuisé un premier psy. Ce crétin a d’abord prétendu que j’avais un trouble borderline et que je faisais preuve d’un comportement antisocial. Dans sa bouche, il ne s’agissait pas d’un compliment. Il voulait absolument que je prenne des médicaments, des calmants. C’est pour ça que j’ai jeté la chaise contre la porte. J’aurais aussi bien pu la lui éclater sur la tête. Mais non, je ne l’ai pas fait, je me suis contenu et c’est bien la preuve que je ne suis ni borderline ni antisocial. Les médicaments, je ne peux pas les éviter, ils me forcent à les prendre. Je les soupçonne même d’être suffisamment pervers pour les mélanger à la nourriture. C’est pour ça que je ne mange presque rien. Mais attention, je ne fais pas la grève de la faim, ils seraient capables de considérer ça comme une agression ; ils ont tous les symptômes d’une psychose paranoïde par ici. Donc, je grignote. Ça me va, la bouffe est vraiment dégueulasse.
- Alors, Ronpipal, toujours pas fou ?
- Toujours pas fou, Germain.
C’est un gardien, je l’aime bien. Il est un peu gros, il a des origines africaines, il aime plaisanter, sauf avec le règlement.
- Il faut venir, maintenant, c’est l’heure de votre rendez-vous avec la psy.
- Encore ? J’y suis déjà allé hier…
- Et vous irez aussi demain et après-demain, et encore les jours suivants.
Je la vois tous les jours. Elle est plus sympa que le premier psy, sauf lorsqu’elle me regarde comme si j’étais un insecte piqué sur un bouchon de liège. Elle essaie régulièrement de me faire parler de Catherine et des filles. A chaque fois je lui explique que ce n’est pas une bonne idée. Que je n’ai pas l’intention d’aborder ce sujet avec une inconnue. A chaque fois, aussi, je lui demande quand est-ce qu’elle rendra son rapport. J’aimerais bien savoir combien de temps ils comptent me garder enfermé. Elle pense que je suis schizophrène et que je souffre d’anosognosie. Ce n’est pas elle qui me l’a dit, du moins pas directement. Je l’ai entendue téléphoner à quelqu’un et lui parler de moi. J’étais dans la salle d’attente, menotté, sous la surveillance de Germain. Lui aussi a entendu et il a frappé à la porte pour signaler notre présence. J’aurai voulu demander ce que veut dire anosognosie, mais je suis à l’isolement, je ne vois que les gardiens et la psy, et je sais qu’ils ne me diront rien.
Au début, c’est des policiers et un juge qui m’ont interrogé. J’ai préféré ça. Ils étaient moins cauteleux que la psy, plus agressifs. J’ai adoré les contredire.
Je m’ennuie. Germain m’a dit que dehors, les gens étaient retournés au travail, au restaurant, dans les magasins, en croisières, que tout était presque redevenu normal. Finalement, heureusement que je suis enfermé ici, ça m’aurait trop déprimé de voir ça.
***
- Ronpipal, reculez au fond de la cellule, déshabillez-vous !
Germain porte une combinaison de protection qui le couvre de la tête aux pieds. Sa voix en est un peu étouffée. Il arrose la cellule et tout ce qui s’y trouve, dont moi, d’un liquide antiseptique. Puis me jette un masque.
- Couvrez-vous la bouche et le nez.
- Qu’est-ce qui se passe, Germain?
- Le coronavirus ! Il est de retour ! Une seconde vague encore pire que la première, les gens tombent comme des mouches. Votre psy a été hospitalisée d’urgence hier soir, elle est morte ce matin. Il paraît que le virus a muté, tout recommence, c’est terrible !
Sous mon masque, je souris.
FIN
© Lubric-à-Brac Production / avril 2020
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